Il n’y a pas de raccourci pour créer le syndicat ou le monde que nous voulons

Queens park protestors

Comment les syndicats d’étudiantes et d’étudiants ont lutté pour leur survie

En janvier 2019, j’ai reçu l’appel dont tous les membres du syndicat et organisateurs avaient besoin. Je me trouvais à plus de mi-chemin dans mon mandat de présidence de Ia Fédération canadienne des étudiantes et étudiants–Ontario, où je représentais plus de 350 000 étudiants locaux et internationaux du postsecondaire de partout dans la province. Nous avions passé quelques années tumultueuses alors que les conservateurs sur campus s’étaient organisés (sans succès) à prendre le contrôle des syndicats d’étudiants, des gens comme Jordan Peterson qui rassemblaient des partisans et luttaient contre les pronoms et la neutralité des salles de toilettes, des groupes anti-choix qui érigeaient des lignes de piquetage sur les campus et une poignée de groupes nationalistes blancs qui prônaient des syndicats d’étudiants formés de blancs seulement et la « liberté d’expression » codée comme liberté d’exprimer sa haine. Nous savions que le premier ministre Ford n’était aucunement l’ami de progressistes ou du mouvement des étudiants, alors son élection en juin 2018 a été perçue comme un coup bas. Nos campus traversaient des changements culturels et politiques massifs et, souvent, ce sont les syndicats d’étudiants et les groupes de campus qui résistaient et créaient des espaces sécuritaires pour les membres. Malgré les défis auxquels nous faisions, nous réalisions les progrès sur des questions d’importance pour les étudiants, comme l’accès à des bourses plutôt que des prêts, le soutien en matière de violence sexuelle et de harcèlement et la réduction des formalités administratives pour permettre aux étudiants internationaux de vivre et de travailler en Ontario. Tout n’était pas sombre, toutefois, la valeur d’un mouvement provincial et national des étudiants a rapidement été mise à l’épreuve lorsque le premier ministre Doug Ford a annoncé son « Initiative de liberté de choix des étudiants », des coupures massives à l’aide financière aux étudiants et des changements catastrophiques à la formule de financement pour les établissements postsecondaires.

« L’Initiative de liberté de choix des étudiants » (« ILCÉ ») était une directive de politique confiant aux universités et collèges le mandat de créer une plateforme en ligne où les étudiants peuvent refuser de payer leurs cotisations aux syndicats d’étudiants et les groupes de campus. Il s’agissait essentiellement de la première attaque de Doug Ford contre la Formule Rand, qui exige à ce que les étudiants et les travailleurs paient des cotisations pour les services de leur école ou de leur lieu de travail, et les syndicats, nous avons été les cobayes de Doug Ford. Il a vanté les mérites de ceci en prétendant que c’était une façon de « remettre de l’argent dans les poches des gens », en servant de nos propres paroles pour jouer sur le fait que l’éducation postse-condaire coûtait très cher. Cette directive était problématique parce que non seulement était-elle trompeuse, il s’agissait en plus d’une attaque à l’endroit des syndicats d’étudiants et les groupes de campus démocratiquement établis. L’intention de Doug Ford n’était pas de permettre aux étudiants de faire des économies—il (et ses supporteurs) voulait affaiblir le pouvoir collectif et l’infrastructure que les étudiants ont bâti sur des générations afin de tenir responsables les gouvernements comme le sien. Il l’a pratiquement dit lui-même dans un courriel de collecte de fonds. Pendant des années, le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario a eu des démêlées avec les syndicats d’étudiants. Pourquoi? Eh bien, les étudiants âgés de 18 à 24 ans ont plutôt eu tendance à voter soit pour le NPD, le Parti Vert ou le Parti Libéral, selon leur circonscription. Les données de sondage indiquent également qu’il était moins probable que les gens votent pour le Parti Conservateur s’ils avaient un diplôme postse-condaire. Par conséquent, que mieux de déstabiliser la source de l’organisation progressive et de la réflexion politique?

Portest sign against Doug Ford and Student choice initiative

Souvent, le début de l’éducation postsecondaire coïncide avec la première introduction des étudiantes et étudiants au syndicalisme et à la participation à des processus démocratiques comme les élections et les référendums. Les espaces que les syndicats d’étudiants et les groupes de campus créent sont des lieux où les étudiantes et les étudiants développent leur idéologie politique, se trouvent dans leur communauté. Ils sont également où les étudiantes et les étudiants peuvent accéder à des services économiques (et de la vie quotidienne) comme des billets de transport en commun à rabais, les banques alimentaires et les soutiens en matière de violence sexuelle et en santé mentale. Les syndicats d’étudiants entraînent naturellement le changement, car c’est là où les curiosités et les intérêts des étudiantes et étudiants prennent naissance et où leurs aptitudes, qu’elles soient académiques ou personnelles, sont affinées. À plus d’une occasion, les étudiantes et étudiants ont partagé dans quelle mesure leur participation à un club, un syndicat de cours, un journal de campus ou leur syndicat d’étudiants a amélioré leur vie.

Après des décennies de sous-financement gouvernemental et de solution de fortune, la vie d’une étudiante ou d’un étudiant en Ontario devient de plus en plus difficile. À l’époque, nous payions les frais de scolarité les plus élevés au pays et devions composer avec des possibilités de logement, des services de transport et des coûts alimentaires inabordables. Presque toutes les étudiantes et tous les étudiants avaient au moins un emploi pour boucler les fins de mois et, malheureusement, il n’était pas inusité de voir des étudiantes et étudiants devoir choisir entre se nourrir ou acheter des manuels de cours. Tout cela rendait essentiel le travail des syndicats d’étudiants et des groupes de campus. Cependant et naturellement, bon nombre de membres ont cru que l’ILCÉ constituerait une bonne mesure pour faire des économies sans se rendre compte de ce que cela représentait de couper les vivres de ces endroits.

L’ILCÉ a été ma première initiation à la stratégie de communication de Ford. Il a brillamment annoncé cette mesure « permettant de réaliser des économies » en même temps qu’un gel de 10 % des frais de scolarité. Je n’avais aucune idée comment nous allions réagir sans nous montrer alarmistes, parce que comment le plus important syndicat d’étudiants de la province pourrait-il se prononcer contre remettre des fonds dans la poche des étudiantes et des étudiants ou un gel de 10 % des frais de scolarité?
Tout ce que je savais, c’était que nous nous devions d’agir rapidement, sinon les étudiantes et les étudiants allaient devoir composer avec une pire situation pendant des générations à venir. Nous avons dû riposter au moyen de tous les outils dans notre boîte à outils.

Comment nous nous
sommes organisés

Nous avons riposté de deux façons – tout d’abord, nous avons lancé une campagne à grande échelle pour montrer la valeur de nos syndicats d’étudiants et de nos groupes de campus. Quand l’ILCÉ a été annoncée, nous n’avions que cinq mois à nous organiser avant que les étudiantes et étudiants s’inscrivent à des cours pour la prochaine année scolaire. Doug Ford a intentionnellement fait en sorte que le droit de refuser de payer les cotisations syndicales soit un processus en ligne parce qu’il ne voulait pas que nous ayons un contact avec les membres. Cela témoignait du fait que nous gagnions toujours le cœur et l’esprit de nos membres quand nous nous organisons. À la FCEE-Ontario, nous soutenions les syndicats d’étudiants et les groupes de campus de partout dans la province en créant des campagnes qui soulignaient l’importance d’être un membre syndical. Nous avons souligné les aspects clés comme nos victoires antérieures, les services de réduction des coûts créés par et pour les étudiantes et étudiants, nos processus démocratiques et l’importance de mettre nos ressources en commun pour lutter au nom des droits et des valeurs des étudiantes et des étudiants. Ensuite, nous nous sommes assurés de parler à chaque étudiante et étudiant, groupe de campus, syndicat de cours, poste de média, représentant élu, syndicat et parent. Nous avons organisé des équipes mobiles, des rassemblements, des réunions régionales d’organisation, des débrayages, des occupations et d’autres moyens de pression pour faire en sorte que les gens savent dans quelle mesure le gouvernement Ford et l’ILCÉ étaient. Il était important d’envoyer un message clair au gouvernement pour indiquer que les étudiantes et étudiants n’allaient pas croire ses mensonges, que nous étions unis contre ses attaques pour nous déstabiliser et que le véritable enjeu était le coût des frais de scolarité et non les syndicats d’étudiants et les groupes de campus.

En même temps, nous avons déposé une contestation contre cette directive de politique parce que l’ILCÉ allait à l’encontre du droit des étudiantes et des étudiants de s’organiser. Bien que l’Ontario n’ait pas de loi formelle qui protège les étudiantes et les étudiants comme il existe au Québec, il y avait suffisamment de précédents pour empêcher le gouvernement de les dissoudre facilement. Les tribunaux de l’Ontario ont également mis en question les véritables intentions de Doug Ford au sujet des économies réalisées pour les étudiantes et étudiants, puisqu’il a aussi fait des coupures à l’aide financière dans la même période. Le gouvernement a tenté de prétendre que l’ILCÉ apportait une meilleure transparence et un choix, mais les juges de la cour ont souligné avec raison le fait que les étudiantes et les étudiants avaient déjà cela par des moyens démocratiques comme les élections et référendums organisés par les syndicats d’étudiants et les groupes de campus. Je dois admettre que j’ai eu très peur en janvier, mais après chaque conversation avec des membres et après date de notre comparution, j’ai su que nous allions gagner.

man holding protest sign for student choice initiative

La campagne a été épuisante et la décision de la cour a semblé durer une éternité. Cependant, quand nous avons vu les derniers chiffres du nombre d’étudiantes et d’étudiants étaient demeurés membres à la fin de la sélection des cours et que nous avions gagné notre contestation devant les tribunaux contre le gouvernement de l’Ontario, nous nous croyions alors invincibles. Cela a été un rappel impératif que nos syndicats d’étudiants et groupes de campus en valaient la lutte et que les étudiantes et étudiants qui s’unissent ne connaîtront jamais la défaite.

Leçons clés

Peu de temps après que nous ayons gagné notre contestation judiciaire, le monde a été lancé dans une pandémie qui a tout changé. Le paysage en éducation, en soins de santé et dans le travail a grandement changé et les résidentes et résidents de partout dans la province sont dans une situation beaucoup plus difficile que dans le passé. Malgré la réélection du premier ministre Ford pour un deuxième mandat, je sais que nous pouvons créer de forts syndicats et la société que nous imaginons si nous appliquons ces leçons clés :

  1. Il n’existe pas de raccourci à une organisation efficace. Nous ne pouvons pas créer le monde que nous voulons du jour au lendemain. Cela prend du temps, alors soyez attentifs aux détails, patients et dévoués aux personnes et aux causes qui vous tiennent à cœur.
  2. Les syndicats ne sont aussi efficaces que nous les rendons. Notre participation active est requise parce que personne d’autre ne luttera pour nous comme nous le faisons. Nos patrons, les administrations et les gouvernements vont jouer selon leurs propres règles. Nous ne pouvons pas nous y fier pour obtenir ce dont nous avons besoin.
  3. Les gens veulent une conne-xion et en ont besoin. Nous ne pouvons pas nous prendre comme acquis les uns les autres ou sous-estimer la valeur de trouver un bien commun et une cause commune. C’est de là que nous puisons notre force de lutter pour un monde meilleur.
  4. Toute personne a une question qui lui est importante. Prenez le temps de bien connaître les gens, ce qui les incite, ce qui les dérange, ce qui leur fait peur et ce qui les rend heureux.
  5. Il y aura des questions difficiles alors il importe de s’engager dans des conversations honnêtes et inten-ses. Le fait d’avoir un œil critique est souvent le moteur qui nous pousse à créer un changement.
  6. Il nous faut connaître nos antécédents. Partagez des histoires, des victoires et des défis. Cela aide à nous rappeler que nous avons déjà gagné auparavant et que nous pouvons encore y arriver.
  7. Un monde meilleur est possible et il en vaut la lutte.

Comme membres du syndicat, travailleuses ou travailleurs, étudiantes ou étudiants et citoyennes ou citoyens ordinaires, il nous incombe de protéger ce à quoi nous accordons une va-leur. N’attendez pas de vivre une crise existentielle avant de lutter et de créer le monde ou le syndicat que vous voulez.

About Nour Alideeb
Nour Alideeb (elle/sa) était la présidente de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants - Ontario entre 2017 et 2019. Elle est maintenant spécialiste des relations extérieures et gouvernementales pour l'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario.

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