Le militantisme syndical noir et la lutte pour la justice raciale

Une partie importante de l’histoire et de l’avenir de notre travail

Photo of the train wheels on an old box car

La résurgence des luttes pour la justice raciale et sociale après les soulèvements de la libération des Noirs en 2020 a mis la question du racisme anti-noir au premier plan. Les organisations ont réagi en reconnaissant la longue histoire du racisme systémique dont souffrent les Noirs. Certains ont tenté d’éluder l’impact de l’histoire de l’injustice au Canada et de détourner les critiques en les dirigeant vers les États-Unis. D’autres ont tenté de présenter le racisme anti-noir comme un nouveau phénomène qui n’est apparu qu’après le meurtre de George Floyd, mais cette déflexion a également été remise en question. À Toronto, sans parler des autres villes, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour manifester leur solidarité et leur soutien à Regis Korchinski-Paquet lors de la marche Not Another Black Life et d’autres veilles et évènements, après sa mort lors d’un contrôle-santé effectué par la police. Les activistes de la communauté noire ont clairement établi les liens entre la brutalité policière, le manque de services et de soutien et les effets démesurés de la COVID-19 sur les Noirs par le biais de divers moyens et canaux au cours d’une année qui aura une influence générationnelle.

En cette période critique, les membres de la communauté noire adoptent de nouveaux carrefours qui engagent l’équité, la diversité, l’inclusion et démantèlent le racisme anti-noir. Dans le contexte canadien, il est important de rappeler la longue histoire du racisme anti-noir et les formes d’activisme et de résistance. Les réponses, réactions et résistances ne peuvent être traitées comme si elles étaient nouvelles. Les militants syndicaux et communautaires noirs sont souvent traités comme s’ils étaient nouveaux, comme s’ils n’avaient pas apporté de grandes contributions au mouvement syndical, social, racial et de classe. Dans cet article, j’aborde l’idée de l’invisibilité des Noirs dans les réponses syndicales, politiques et communautaires et je souligne les nombreux militants noirs qui ont aidé et continuent de façonner des résultats équitables et égaux dans tous les domaines de l’expérience canadienne.

Le Canada a une longue histoire de racisme anti-noir systémique qui remonte à l’esclavage, malgré les grands récits qui présentent le pays comme un lieu de refuge pour les Noirs. De plus, les Canadiens noirs ont été confrontés à diverses formes de ségrégation, notamment dans les écoles, les équipes sportives et le divertissement. Par exemple, Viola Desmond (1914-1965), militante des droits de la personne, a refusé de quitter la section réservée aux Blancs du théâtre Roseland, en Nouvelle-Écosse, neuf ans avant que Rosa Parks ne refuse de s’asseoir à l’arrière d’un autobus. Environ douze ans avant Viola Desmond, Carrie Best et son mari ont également été arrêtés pour s’être assis dans la section réservée aux Blancs de ce théâtre. C’est ce qui a poussé Carrie Best à créer The Clarion, un journal noir qui a révélé l’histoire de l’arrestation de Viola Desmond. Les femmes noires ont une longue histoire de militantisme et de résistance au Canada. Les Noirs ont également été confrontés à la ségrégation dans l’enseignement supérieur et il leur a été interdit de fréquenter les écoles de médecine et autres écoles professionnelles et d’exercer des professions comme les soins infirmiers jusque dans les années 1950. En fait, c’est grâce au Dr A. Pearleen Oliver (1917-2008), fondateur de la Nova Scotia Association for the Advancement of Coloured People, que les Noirs ont pu exercer la profession d’infirmier. La présence des Noirs au Canada remonte aussi loin que Mathieu de Coste en 1608 et que les Marrons jamaïcains qui se sont installés en Nouvelle-Écosse au 16e siècle. Malgré les nombreuses formes de résistance des Noirs et la longue histoire de leur présence, il existe toujours une prévalence de la nouveauté accordée aux communautés noires, où les Canadiens noirs, peu importe depuis combien de temps ils vivent au Canada, ne sont pas considérés comme de véritables Canadiens. Le lien entre les Noirs et la nouveauté est également présent chez les membres de la communauté noire dans le mouvement syndical.

Les militants syndicaux noirs ont souvent lié leur organisation syndicale à l’organisation communautaire. Les deux sont interconnectés et, alors que l’organisation communautaire est souvent considérée comme illégitime, elle a été au cœur de l’expérience des Noirs canadiens. Par exemple, le Black Experience Project (BEP) d’Environics a noté un niveau élevé d’activisme qui se manifeste sous de nombreuses formes chez les Canadiens noirs. Une grande partie de l’organisation des travailleurs et des membres des communautés noires a profité et continue de profiter à d’autres communautés et groupes.

Stanley Grizzle (1918-2016) est né à Toronto de parents jamaïcains. Pendant son enfance, son père était le seul chauffeur de taxi noir au Canada qui a dû faire face à des attaques brutales en raison de sa race. Stanley Grizzle a ensuite été porteur pour le Chemin de fer Canadien Pacifique. Il a été élu président de la Fraternité des porteurs de voitures-lits de Toronto (BSCP) en 1946, où il s’est battu pour de meilleures conditions de travail et l’équité raciale. L’organisation syndicale de Stanley Grizzle a transcendé la politique électorale lorsque lui et Jack White, de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE/IBEW), sont devenus les premiers candidats canadiens noirs à se présenter aux élections de l’Assemblée législative de l’Ontario pour la Fédération du Commonwealth coopératif (maintenant le Nouveau Parti démocratique). Stanley Grizzle est ensuite devenu le premier juge noir de la citoyenneté au Canada. Quelques années auparavant, ce sont des porteurs noirs de Winnipeg, John A. Robinson, J.W. Barber, B.F. Jones et P. White, qui ont créé l’Ordre des porteurs de voitures-lits (OSCP), le premier syndicat ferroviaire noir en Amérique du Nord. Ils ont négocié des conventions collectives et se sont joints plus tard à la Fraternité canadienne des cheminots (CBRE) en 1919 et ont lutté pour la suppression de la clause d’affiliation réservée aux Blancs dans ses statuts.

Bromley Armstrong C.M., O. Ont. (1926-2018), faisait partie de la Section locale 439 du Syndicat des travailleurs unis de l’automobile (UAW) et est devenu commissaire aux droits de la personne de l’Ontario. M. Armstrong a participé à des « tests », qui étaient des manifestations assises organisées par le Joint Labour Committee to Combat Racial Intolerance (comité mixte des travailleurs pour combattre l’intolérance raciale) et la National Unity Association à Dresden (Ontario), où il a été confronté à un grave racisme anti-noir qui a été filmé par les médias. L’activisme de Bromley à cet égard et son leadership dans les campagnes de lutte à la discrimination sont à l’origine des premières lois anti-discrimination au Canada. De plus, le gouvernement de l’Ontario a introduit la Fair Employment Practices Act (loi concernant les pratiques d’emploi équitables) et la Fair Accommodation Act (loi concernant les pratiques équitables en matière d’hébergement). Comme l’activisme des Canadiens noirs d’aujourd’hui, il prend de multiples formes et avenues et, à ce titre, Bromley était également très engagé dans l’activisme communautaire. Il a fondé plusieurs organisations telles que l’Alliance urbaine sur les relations interraciales, la Black Business and Professional Association, la Jamaican Canadian Association et de nombreuses autres. Cela a contribué à l’activisme social ultérieur des chefs de file et des fondateurs du Black Action Defense Committee (Comité de défense d’action noire) (BADC), comme Akua Benjamin, Dudley Laws, Charles Roach, Lennox Farrell, Numvoyo et Brian Hyman, Akilah et Dari Meade, qui se sont élevés contre le racisme anti-noir et ont œuvré à la mise en place de mesures de responsabilisation de la police, comme l’Unité des enquêtes spéciales et d’autres initiatives en faveur de l’équité raciale. Le militantisme noir se poursuit avec l’organisation de Black Lives Matter Toronto (BLMTO) et d’innombrables organisations et groupes communautaires où les gens continuent de se battre pour obtenir la justice raciale.

L’existence des Noirs au Canada et leur immigration ultérieure sont dues à l’activisme de chefs de file comme Donald Moore (1891-1994), qui a été porteur pendant un certain temps et a fini par acheter une entreprise de nettoyage à sec située au 318, avenue Spadina. L’entreprise de Donald Moore est un lieu de rencontre pour les organisations de garveyisme de Toronto et divers groupes progressistes antillais. Donald Moore a fondé la Negro Citizenship Association et, le 27 avril 1954, il dirige un contingent de 34 membres de ce groupe provenant de diverses organisations communautaires et syndicales à Ottawa, dont Stanley Grizzle lorsqu’il était un dirigeant du BSCP et secrétaire de la Negro Citizenship Association. Ensemble, ce groupe a présenté un mémoire au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, ce qui a conduit à l’adoption d’une Loi sur l’immigration moins discriminatoire en 1962, permettant aux citoyens non blancs d’entrer dans le pays. Cette loi a également débouché sur le Programme de recrutement de domestiques antillaises (West Indian Domestic Scheme) (WIDS), qui était censé ouvrir la voie de la citoyenneté aux travailleurs domestiques noirs des Caraïbes. Plus tard, des chefs de file comme Sherona Hall (1948-2006), qui faisait également partie du BADC, se sont battus contre les pratiques injustes à l’égard des femmes dans le cadre du WIDS en adoptant une optique intersectionnelle. Le travail de syndicalisation de Sherona Hall et des femmes noires sera abordé dans la deuxième partie de cet article, car les femmes noires du Canada ont longtemps fait partie intégrante du militantisme communautaire et syndical et elles continuent de le faire.

D’innombrables dirigeants syndicaux et communautaires noirs se sont battus pour la justice raciale et, ce faisant, ont accordé aux communautés non noires divers droits, comme des lois antidiscriminatoires, des politiques d’immigration non discriminatoires qui ont profité à de nombreux non Noirs, une meilleure responsabilisation de la police et la création de l’Unité des enquêtes spéciales, ainsi qu’un plan pour des conditions de travail meilleures et plus équitables, pour n’en nommer que quelques-uns. Leur militantisme se poursuit encore aujourd’hui avec les organisateurs syndicaux noirs qui continuent de diriger non seulement le mouvement syndical, mais aussi diverses activités politiques, universitaires, communautaires, confessionnelles et éducatives. Bien que la présence des Noirs au Canada soit souvent négligée, l’héritage et les formes continues de résistance des Noirs sont ce qui rend la vie plus équitable et plus juste pour tous.

About Janelle Brady
Janelle Brady est conseillère fondatrice de Progress Toronto. Elle est une organisatrice communautaire et une militante qui cherche à démanteler l’oppression systémique et le racisme des communautés noires et racialisées.

1 Comment on Le militantisme syndical noir et la lutte pour la justice raciale

  1. Paula Alphonse // November 4, 2021 at 1:26 pm // Reply

    A piece of our black Canadian history that we were never told. Thank you for the work that you do.

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