Ce que signifie un budget

Le rapport du Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario et ce qu’il nous dit vraiment

Illustration of a two human figures each standing behind their own podium

Les budgets provinciaux donnent l’impression qu’ils portent sur l’économie. Ils parlent de croissance économique, de projections fiscales (que l’on appelle également les prévisions de revenus et de dépenses) et de déficits. Fondamentalement par contre, les budgets gouvernementaux ne portent que sur une seule chose : la politique. Ils portent sur les priorités et les décisions politiques, mais puisque les budgets gouvernementaux sont ultimement politiques, ces priorités sont établies par un mélange d’idéologies et de plans visant la réélection.

Naturellement, les gouvernements nient leurs actions idéologiques et minimisent le lien entre leurs décisions et leurs perspectives de réélection. Ils décrivent leurs actions comme étant « ce que le peuple veut » plutôt que « ce qui, selon nous, nous permettra de récolter le plus de votes aux prochaines élections ». La différence est importante, parce que les gouvernements qui sont réellement au service de la population se soucient des investissements et des réussites à long terme de nos communautés. Les gouvernements motivés par l’idéologie et les perspectives de réélection pensent en termes de ce qu’ils peuvent faire sans se faire pincer, tout en conservant leur poste. Cela reflète une tension fondamentale dans la prise de décisions économiques : d’un côté, un investissement dans la prospérité de la province nécessite un revenu suffisant; d’un autre côté, la promesse de « ne pas intervenir » et de laisser le marché décider donne lieu à un raisonnement à court terme et à des slogans populistes sur les déficits budgétaires. Investir est une tâche difficile, mais nécessaire à la prospérité à long terme. Les slogans faciles sur les déficits nécessitent peu d’efforts et favorisent les perspectives de réélection.

Pour les conservateurs de Doug Ford, la combinaison de l’idéologie et des slogans faciles nous mène à un programme économique et politique concret : Couper le financement dans le but de créer une crise dans les secteurs clés et utiliser ces crises comme excuse pour privatiser et faire d’autres coupures. Voilà pourquoi OSSTF/FEESO et ses alliés gardent un œil vigilant sur les mises à jour budgétaires et les priorités qu’elles présagent. Un rapport publié par le Bureau de la responsabilité financière en décembre 2019 prouve davantage que le gouvernement crée des crises plutôt que d’investir dans les services publics qui nous permettent à tous de partager la croissance de notre province.

Le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario (BRF), sous la direction de Peter Weltman, directeur de la responsabilité financière, a la responsabilité de fournir une « analyse indépendante de l’état des finances de la province, des tendances de l’économie provinciale et des questions connexes qui sont importantes pour l’Assemblée législative de l’Ontario »i. En pratique, cela signifie que le BRF analyse les tendances économiques et produit des rapports qui évaluent les plans et les projections budgétaires du gouvernement. Certains rapports offrent des indications en ce qui concerne les domaines de dépenses précis comme les soins de santé et l’éducation, tandis que d’autres évaluent les questions plus vastes comme les projections fiscales du gouvernement (c’est-à-dire, le revenu qu’il s’attend de recevoir et combien il compte dépenser). Les analyses du BRF n’évaluent pas si les dépenses sont judicieuses du point de vue des politiques; elles ne se concentrent que sur l’équilibre des comptes.

Même sans évaluation des politiques, les rapports du BRF fournissent un contexte important pour les initiatives et les dépenses gouvernementales. Par exemple, vous vous rappelez l’affirmation alarmiste du gouvernement indiquant qu’il avait hérité d’un déficit de 15 milliards de dollars du gouvernement précédent? Le gouvernement s’en est servi pour justifier de nombreuses coupures de programmes, à partir des services en matière d’autisme jusqu’à la plantation d’arbres. Cette affirmation sur le déficit de 15 milliards de dollars s’est avérée grossièrement trompeuse. Dans un rapport l’an dernier, le BRF a démontré que le déficit réel pour 2018-2019 était de 7,4 milliards de dollars, environ la moitié de ce que le gouvernement affirmaitii. Cela vient certainement appuyer l’observation que les priorités du gouvernement ne portent pas réellement sur la réduction du déficit!

Deux fois par année, le BRF publie ses Perspectives économiques et budgétaires. Ces rapports sont fondés sur la propre analyse du BRF, les documents budgétaires du gouvernement et, le cas échéant, les annonces de politiques. Le premier rapport évalue le budget au printemps et le second évalue l’Exposé annuel d’automne (EAA). Cela peut sembler une lecture monotone, mais les Perspectives économiques et budgétaires du BRF de l’automne 2019 sont truffées de signes précurseurs!

L’Exposé annuel d’automne 2019 réaffirmait l’engagement du gouvernement à équilibrer le budget au plus tard en 2023-2024. Il projetait des déficits de 9 milliards de dollars en 2019-2020 et de 6,7 milliards de dollars en 2020-2021iii. L’analyse du BRF, par contre, indique que les propos alarmistes sur le déficit n’avaient rien à voir avec l’équilibre budgétaire, ou du moins n’en ont jamais été le but premier. Comme l’indique le BRF, si le gouvernement maintenait ses dépenses au niveau actuel, il se retrouverait avec un léger déficit de 0,6 milliard de dollars l’an prochain, dans le budget 2021-2022. En contraste, le gouvernement prévoit un déficit de 4,4 milliards de dollars cette même année. Pourquoi une telle différence? Selon le BRF, la différence ne peut s’expliquer qu’en supposant que le gouvernement prévoit des réductions d’impôt, de nouvelles dépenses ou une combinaison des deux, qui n’ont toujours pas été annoncéesiv. Le BRF ne peut l’affirmer avec certitude, puisque, comme nous le savons tous, les conservateurs de Doug Ford n’ont pas la réputation d’être transparents et prévisibles. Néanmoins, la seule façon de rapprocher les projections du gouvernement aux dépenses actuelles est par de nouvelles réductions d’impôts ou de nouvelles dépenses dans les programmes et services.

Vous croyez que la différence va être comblée par de nouvelles dépenses? Poursuivez la lecture.

Sur une base « par personne », il n’y a que la Colombie-Britannique qui dépense moins que l’Ontario sur les programmes (comme l’éducation, les soins de santé, l’environnement, etc.) Loin d’adopter une attitude dépensière, l’Ontario se montre relativement efficace dans ses dépenses. Ou tout au moins, nous ne dépensons pas autant et aussi rapidement que la plupart des autres provinces.

 

L’Ontario étant la province la plus riche au Canada en fonction de son PIB le plus élevé, le fait qu’elle se classe deuxième en termes des dépenses les plus basses par personne constitue un abandonnement honteux de la responsabilité d’investir dans cette province et ses résidents. Selon le BRF, les choses vont empirer. Le plus récent rapport du BRF indique que dans le but d’atteindre ses cibles actuelles, le gouvernement devra réduire ses dépenses d’une somme additionnelle de 1 070 $ par personne. En termes de dépenses par personne, cela nous fera passer d’avant-dernier au tout dernier rang.

Cependant, attendez un peu… si les dépenses sont réduites, alors pourquoi le gouvernement prévoit-il un déficit de 4,4 milliards de dollars, comparativement à la projection du BRF d’un déficit de 0,6 milliard de dollars? La réponse : des réductions d’impôt.

Comme le BRF l’a démontré, plusieurs décisions gouvernementales ont déjà affaibli la croissance des revenus. En fait, pour l’exercice 2017-2018, il y avait déjà une perte de revenus se chiffrant à 4,1 milliards de dollars, une somme qui aurait pu être investie dans des services publics essentiels. Ces décisions comprennent l’annulation du programme Plafonnement et échange (une perte de 1,9 milliard de dollars), une réduction de la vente d’actifs (perte de 0,9 milliard de dollars), la décision de la Commission de l’énergie de l’Ontario (0,4 milliard de dollars) et l’élimination de la redevance de liquidation de la dette sur les factures d’électricité (0,6 milliard de dollars)v. Ces décisions politiques et d’autres ont des répercussions qui se feront sentir loin dans l’avenir. Le BRF prévoit maintenant que les décisions sur le revenu coûteront 4,2 milliards de dollars cette année et ensuite en moyenne 3,4 milliards de dollars pour chacune des quatre prochaines années. À la fin de 2023-2024, cela représente presque 18 milliards de dollars en perte de revenu!

De plus, le BRF prévoit, selon les projections et les annonces du gouvernement, que les revenus seront encore plus à la baisse en raison de réductions d’impôt. L’importance, la nature et les bénéficiaires exacts de ces réductions d’impôt n’ont jusqu’à présent pas été dévoilés, mais elles coûteront environ 2,3 milliards de dollars en 2021-2022 et atteindre 3,8 milliards de dollars d’ici 2023-2024. Cela entraînera des tensions budgétaires nouvelles et inutiles, qui seront utilisées pour justifier des coupures additionnelles aux programmes.

Ces chiffres peuvent sembler abstraits, alors plaçons-les dans le contexte des négociations actuelles. Si vous combinez les réductions de revenus attribuables aux décisions politiques pour 2019-2023 (les trois années de notre prochaine convention collective) aux réductions d’impôt qui n’ont toujours pas été annoncées pour la même période, vous obtenez une perte de revenus totale de 13,5 milliards de dollars. Ce sont des revenus que le gouvernement aurait pu recevoir, mais dont il a décidé de se priver. Le fait de maintenir les salaires d’OSSTF/FEESO au niveau de l’inflation pour la même période coûterait environ 200 millions de dollars. Cela signifie que le coût des augmentations inflationnistes à nos salaires représenterait environ 1,5 pour cent des revenus dont les conservateurs de Doug Ford se privent, surtout au profit de grandes sociétés et de personnes fortunées et aux dépens de l’environnement, des soutiens sociaux et de l’éducation publique.

Le Centre canadien de politiques alternatives (CCAP) a fait un travail exceptionnel pour comparer la mesure à laquelle le gouvernement prévoit augmenter ses dépenses dans des secteurs qui constituent toujours une priorité pour les Ontariennes et les Ontariens (éducation, soins de santé, services sociaux) et combien le gouvernement compte dépenser sur les réductions d’impôt. Au cours des trois prochaines années, presque 60 pour cent de l’augmentation des dépenses ira aux réductions d’impôt, alors qu’un faible 2 pour cent ira à l’éducationvi.

Cependant, ce n’est pas là le pire. Le tableau du CCAP montre des augmentations nominales aux dépenses. Cela signifie que ce sont des augmentations aux dépenses qui ne tiennent pas compte de l’inflation. De plus, ces chiffres ne tiennent pas compte de la croissance de la population. Puisque l’on prévoit une croissance de population de 5,3 pour cent et un taux d’inflation de 6,3 pour cent, les plans de dépenses du gouvernement affichent un trou béant de 5 milliards de dollars. Il s’agit d’une valeur de 5 milliards de dollars en éducation, en soins de santé et autres services que les Ontariennes et les Ontariens veulent, mais pour lesquels le gouvernement ne prévoit simplement rien au budgetvii. Rappelez-vous un des buts fondamentaux de ce gouvernement : sous-financer les services afin de créer des crises et ensuite utiliser ces crises pour des fins de privatisation et de coupures additionnelles.

Le BRF considère ce manque à gagner de 5 milliards de dollars comme un avertissement dont il faut tenir compte. Nous reconnaissons qu’il s’agit d’une question politique. Nous savons que des services seront sacrifiés pour donner lieu à des réductions d’impôts. Nous savons que l’Ontario a amplement de richesses pour subvenir à nos besoins. Toute autre action entraîne une crise inutile.

La bonne nouvelle, c’est que non seulement les Ontariennes et les Ontariens s’opposent au programme de Doug Ford, mais ils sont également en mesure de faire pression efficacement auprès du gouvernement pour qu’il fasse marche arrière. Les résultats de sondages continuent d’indiquer une très faible popularité pour Doug Ford. Les sondages internes d’OSSTF/FEESO montrent qu’environ les deux tiers des Ontariennes et des Ontariens appuient les efforts d’OSSTF/FEESO à se dresser contre les coupures en éducation. Une proportion semblable d’Ontariennes et d’Ontariens sont même prêts à payer plus d’impôts pour améliorer le financement de l’éducation.

Le gouvernement Ford est en train de se faire une triste réputation pour ses nombreux revirements en matière de politique et de dépenses. OSSTF/FEESO continuera de recueillir, d’élaborer et de partager des preuves sur les répercussions négatives des décisions du gouvernement en matière de budget et de politique. Il incombe à nos membres et à nos alliés de maintenir la pression politique. C’est la seule façon de se défendre contre les coupures et la privatisation.

i Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario, “À propos,” accédé le 13 janvier 2020.
ii Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario, Analyse du déficit 2018-2019 de l’Ontario (2019), 1.
iii Ministère des Finances, Un plan pour bâtir l’Ontario ensemble : Perspectives économiques et revue financière de l’Ontario 2019, par Rod Phillips, ministre des Finances (2019), 5.
iv Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario, Perspectives économiques et budgétaires : évaluation du plan budgétaire à moyen terme de l’Ontario (automne 2019) (2019), 10.
v Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario, Analyse du déficit 2018-2019 de l’Ontario, 3.
vi Ricardo Tranjan, “It’s all about tax cuts,” CCPA: Behind the Numbers, Canadian Centre for Policy Alternatives, 2019.
vii Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario, Perspectives économiques et budgétaires : évaluation du plan budgétaire à moyen terme de l’Ontario (automne 2019), 15-16.

About Chris Samuel
Chris Samuel est l'analyste/chercheur en politiques au Bureau provincial d’OSSTF/FEESO.

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