Un triomphe déterminant
La perspective historique de la contestation judiciaire de la Loi 115 et ce que cela implique pour l’avenir
Le 20 avril 2016, le juge Thomas Lederer à la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu une décision dans laquelle il statuait que, durant le processus provincial de négociation entre le gouvernement de l’Ontario et les divers syndicats du milieu de l’éducation qui s’est déroulé en 2011-2012, l’Ontario avait « entravé substantiellement une véritable négociation collective » et de ce fait, avait enfreint l’article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La décision est significative pour tous les syndicats du secteur public, en particulier pour ceux de l’Ontario, et il essentiel de bien comprendre les répercussions que la décision pourrait avoir sur les futures négociations provinciales. Pour comprendre, il est utile d’examiner le processus qui a mené à l’adoption de la Loi 115 (Loi donnant la priorité aux élèves) à l’occasion duquel le gouvernement « a mal agi » et de quelle manière cela pourrait affecter le processus de négociation provinciale à l’avenir.
Antécédent récent de la participation du gouvernement dans la négociation
Le concept de la négociation provinciale n’est pas inconnu pour OSSTF/FEESO, pas plus que le rôle joué par le gouvernement de l’Ontario dans les négociations. Nous en avons été témoins à de nombreuses occasions au cours du dernier quart de siècle.
En 1993, le gouvernement néodémocrate de Bob Rae a adopté la Loi de 1993 sur le contrat social, L.O. 1993. Par conséquent, un « cadre sectoriel pour l’éducation » a été mis en place et certains diraient qu’il a été négocié à l’échelon provincial. Le cadre dictait les composants qui devaient obligatoirement être inclus dans les conventions locales. Finalement, le contrat social s’est traduit par un gel des salaires et de la progression dans l’échelle salariale de trois ans pour tous les membres d’OSSTF/FEESO entre 1993 et 1996, ainsi que par des jours de congé sans solde obligatoires, appelés à l’époque « Journées Rae ».
En 1997, les conservateurs de Mike Harris ont adopté la Loi 160, Loi de 1997 sur l’amélioration de la qualité de l’éducation, qui a apporté des modifications entre autres à la Loi sur l’éducation. Elles ont entraîné l’exigence pour plusieurs unités de négociation d’OSSTF/FEESO de négocier des changements importants aux dispositions concernant la charge de travail dans leurs conventions collectives. Bien plus important encore à long terme, la Loi sur l’amélioration de la qualité de l’éducation a retiré aux conseils scolaires locaux la capacité de s’autofinancer.
Le transfert de l’autorité financière au gouvernement provincial, par le biais de la Loi 160, a finalement créé un milieu propice dans le secteur de l’éducation pour que le gouvernement de l’Ontario prenne des mesures qui enfreignent les droits des membres d’OSSTF/FEESO en vertu de la Charte. Puisque le financement de l’éducation dans la province relève désormais uniquement du gouvernement, tout effort pour réaliser des « économies » ou des réductions de dépenses doit nécessairement être initié au niveau provincial. Cela s’est avéré évident en 2008 lors de la création des premières tables provinciales de discussion (TPD). Pendant cette première incursion dans la négociation provinciale, la participation des syndicats au processus était volontaire. Celle-ci a amené OSSTF/FEESO et le gouvernement à accepter certaines dispositions qui seraient incluses dans les conventions collectives locales.
Avant la Loi 115
À la suite de la crise financière mondiale de 2007-2008, le gouvernement de l’Ontario enregistrait de lourds déficits annuels et le rapport de la Commission de la réforme des services publics en Ontario, appelée communément le Rapport Drummond, a recommandé des réductions importantes dans de nombreux domaines du secteur public, y compris en éducation. Par conséquent, le gouvernement a ciblé l’éducation comme un des domaines où des économies substantielles étaient nécessaires et des « paramètres » ont été créés pour réaliser ces économies. Ces paramètres, qui comprenaient le gel des salaires et des échelles salariales ainsi que l’élimination des banques de congés de maladie et des gratifications à la retraite, ont été présentés aux syndicats du secteur de l’éducation publique, tôt en 2012, au début du processus de la Table provinciale de discussion (TPD). Naturellement, cela a donné le ton aux discussions de la TPD qui se sont déroulées différemment des précédentes. Les discussions antérieures de la TPD avaient fourni à OSSTF/FEESO les objectifs financiers à atteindre. Par contre, les « paramètres », présentés en 2012, ont établi les modalités spécifiques qu’il fallait inclure dans les conventions collectives. Malgré les tentatives d’OSSTF/FEESO pour déterminer les objectifs financiers que les paramètres avaient générés, le gouvernement n’était pas en mesure ni disposé à les fournir et nous nous sommes retirés de la table provinciale.
Durant les mois suivants, OSSTF/FEESO a continué de proposer des solutions de recharge aux paramètres établis par le gouvernement et a demandé à plusieurs reprises des renseignements concernant les objectifs financiers qui devaient être atteints. Le gouvernement ne reviendrait pas sur ses paramètres et a continué à refuser de fournir des informations sur le montant de l’objectif d’économies attribuable à OSSTF/FEESO. Lorsque l’Ontario a publié son budget le 27 mars 2012, le document indiquait que le gouvernement « est prêt à proposer les mesures administratives et législatives nécessaires » si des conventions collectives qui respectent le plan du gouvernement en vue d’éliminer le déficit ne peuvent pas être négociées. Deux jours plus tard, soit le 29 mars 2012, les SBE 2012-2013 (Subventions pour les besoins des élèves) ont été annoncées et les réductions figurant dans les paramètres ont été intégrées dans le financement des conseils scolaires. Les autres documents connexes au financement envoyés au cours des mois suivants ont continué d’afficher les réductions selon les paramètres du gouvernement. Il devenait de plus en plus clair pour OSSTF/FEESO que le gouvernement, pour pouvoir régler ses problèmes financiers, n’était pas intéressé à négocier avec les syndicats du milieu de l’éducation et s’était engagé dans une course pour imposer ses paramètres par la législation que rien n’arrêterait.
Étant donné que le processus de la TPD était encore volontaire à ce moment-là et puisqu’OSSTF/FEESO s’était retiré de sa participation volontaire, l’option d’entamer la négociation locale devenait plus attrayante. OSSTF/FEESO a donc présenté l’avis de négocier aux conseils scolaires de la province. Comme on peut s’y attendre, le gouvernement de l’Ontario était préoccupé par la perspective qu’OSSTF/FEESO négocie des conventions locales qui échapperaient à ses paramètres et la ministre et le sous-ministre adjoint de l’Éducation avaient envoyé aux présidences et directions de l’éducation des conseils scolaires des directives les dissuadant de participer à la négociation locale et précisant que toute négociation locale qui avait lieu devait respecter les paramètres. Puisque les directives gouvernementales à l’intention des conseils scolaires limitaient énormément la capacité d’OSSTF/FEESO de s’engager dans la négociation locale, nous sommes retournés à la TPD en avril 2012.
Dans l’espoir de remédier aux préoccupations financières vagues et non chiffrées du gouvernement, OSSTF/FEESO a déposé une proposition comprenant des dispositions qui généreraient des économies équivalentes à celles produites par les paramètres du gouvernement, tout en évitant la perte des acquis dans les conventions qui faisaient partie de la position de l’Ontario. Le gouvernement a cependant rejeté la proposition en raison de son coût prévu si elle était appliquée à tous les employés du milieu de l’éducation, dans l’ensemble du secteur. Une fois de plus, il était évident que le gouvernement n’était pas du tout intéressé à s’engager dans une véritable discussion avec OSSTF/FEESO. Le syndicat s’est présenté à plusieurs reprises à la TPD au cours des mois qui ont suivi, mais le gouvernement a continué d’adopter la position qu’il considérerait uniquement des économies dans l’ensemble du secteur, un objectif qu’OSSTF/FEESO, n’étant qu’un des autres syndicats du secteur, n’était pas en mesure de réaliser. De plus, le gouvernement refusait d’organiser une rencontre des syndicats du milieu de l’éducation.
Les autres syndicats du milieu de l’éducation éprouvaient des problèmes semblables dans leurs pourparlers à la TPD. Et bien que le gouvernement ait apporté des modifications mineures à ses paramètres, il s’est campé fermement dans sa position selon laquelle les paramètres devaient être inclus dans toute entente négociée.
Le protocole d’OECTA et ses répercussions
Alors qu’OSSTF/FEESO tentait de trouver des solutions de rechange aux paramètres, l’Association des enseignantes et des enseignants catholiques anglo-ontariens (OECTA) a continué de négocier avec le gouvernement. Même si l’organisation représentant les employeurs des membres d’OECTA, l’Ontario Catholic School Trustees’ Association, s’était retirée des négociations en raison de préoccupations sur un certain nombre de questions qui étaient abordées, l’Ontario et OECTA ont conclu une entente et un protocole d’entente (PE) a été signé. Le PE respectait les paramètres du gouvernement avec plusieurs modifications mineures. À la suite de la signature du PE d’OECTA, le gouvernement a indiqué aux autres syndicats du secteur de l’éducation que le PE représentait la « feuille de route » vers les économies escomptées. Lors des rencontres d’OSSTF/FEESO avec le gouvernement peu de temps après, les représentants de l’Ontario ont précisé que les éléments de fond du PE n’étaient pas négociables, puisque son application à l’ensemble du secteur permettrait au gouvernement d’atteindre ses économies escomptées.
Au cours de l’été 2012, l’Ontario a communiqué aux conseils scolaires que toutes les ententes conclues devraient se guider sur le PE d’OECTA. De plus, le gouvernement a ajouté que si les conseils scolaires étaient incapables de conclure des conventions locales avant le 1er septembre 2012, une législation serait déposée afin d’empêcher la progression sur la grille salariale. Plusieurs autres syndicats, l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) et l’Association of Professional Student Services Personnel (APSSP), sont parvenus à une entente pendant l’été, ayant recours au PE d’OECTA comme « feuille de route ». Les interventions gouvernementales faisaient savoir à mots cachés que les syndicats restants devaient signer un PE semblable ou allaient se voir imposer les paramètres par la voie de la législation.
La Loi 115 – Loi donnant la priorité aux élèves
Comme le 1er septembre approchait rapidement et étant donné la perspective d’une augmentation des coûts en raison de la progression sur la grille salariale que plusieurs conventions collectives prévoyaient à cette date, le gouvernement de l’Ontario a déposé l’ébauche du Projet de loi 115, Loi donnant la priorité aux élèves, le 16 août 2012. Il a été adopté en première lecture le 27 août et la deuxième lecture a eu lieu le lendemain. Après quatre heures et demi d’audiences publiques, il est passé en troisième lecture le 10 septembre et a reçu la sanction royale le lendemain, entrant en vigueur immédiatement.
La Loi 115 a imposé une période de restriction de deux ans dans le secteur de l’éducation. Elle exigeait que toute convention collective conclue entre un employeur et un syndicat après le 1er septembre 2012 devait être « essentiellement semblable » au PE d’OECTA et que toutes les dispositions de fond du PE qui étaient omises dans une entente étaient considérées comme étant incluses. De plus, elle précisait que si des ententes n’étaient pas conclues avant le 31 décembre 2012, une convention collective pourrait être imposée par voie de règlement. Finalement, elle prévoyait des contraintes sévères au droit des membres syndiqués de déclencher la grève. Bien que plusieurs petites unités de négociation aient été en mesure de conclure des ententes à l’automne 2012, aucun syndicat important n’a signé de PE avant le 31 décembre 2012, alors que le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP/CUPE) est parvenu à un accord avec le gouvernement.
En automne, OSSTF/FEESO a concentré ses efforts dans cinq conseils scolaires, mais les négociations n’avançaient pas bien, étant donné que ni le syndicat ni les conseils scolaires ne connaissaient les économies qui seraient nécessaires pour que l’entente soit approuvée par le gouvernement. Il nous était pratiquement impossible de négocier des conventions collectives locales quand le gouvernement parlait de réductions obligatoires des coûts à l’échelle provinciale. Lors des moyens de pression de ses membres dans l’ensemble de la province, OSSTF/FEESO a réussi à conclure des ententes de principe avec huit conseils scolaires. Une entente a été ratifiée, une autre a été rejetée par les membres locaux et le reste n’a pas été soumis à la ratification puisque des modifications avaient été apportées unilatéralement par la ministre de l’Éducation.
Comme prévu dans la Loi 115, le 2 janvier 2013, le gouvernement a imposé des conventions collectives à toutes les unités de négociation d’OSSTF/FEESO ainsi qu’aux unités de négociation des autres syndicats en éducation qui n’en avaient toujours pas : les Travailleurs et travailleuses canadiens de l’automobile (TCA/CAW), la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (ETFO) et le Syndicat des employées et employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO/OPSEU). Bien qu’OSSTF/FEESO ait continué de négocier tout le printemps et ait ratifié une entente le 18 avril 2013, la Loi 115 avait déjà causé du tort. OSSTF/FEESO s’était vu retirer la capacité de négocier des mesures alternatives pour atteindre les objectifs financiers du gouvernement et les paramètres avaient été imposés par la loi.
La contestation en vertu de la Charte
Après l’adoption de la Loi donnant la priorité aux élèves, cinq des syndicats touchés ont intenté une action civile contre le gouvernement de l’Ontario, alléguant que la Loi 115 constituait une violation du droit des syndicats et de leurs membres à la négociation collective, comme le garantit l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. La requête au tribunal concernait le SEFPO/OPSEU, OSSTF/FEESO, ETFO, Unifor et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP/CUPE), avec l’Ontario Public School Boards’ Association (OPSBA) qui s’est jointe à titre d’intervenante. L’affaire a été entendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario sur une période de six jours en décembre 2015, sous la présidence du juge Thomas Lederer. OSSTF/
FEESO était représenté dans cette affaire par Heather Alden conseillère juridique interne, avec Susan Ursel et Karen Ensslen du cabinet Ursel Phillips Fellows Hopkinson LLP. Le juge Lederer s’est retrouvé à rendre sa décision dans la foulée de la nouvelle « trilogie du droit du travail », nom désignant les trois jugements relativement récents rendus par la Cour suprême renforçant les droits des travailleurs canadiens à se syndiquer, à négocier collectivement et à déclencher une grève.
Les syndicats requérants ont soutenu qu’en imposant la Loi 115, le gouvernement de l’Ontario avait violé leur droit de liberté d’association garanti par l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés, plus spécifiquement leur droit de négocier collectivement avec leurs employeurs. L’Ontario a plaidé ne pas avoir violé l’alinéa 2 d) et, même si c’était le cas, toute violation devrait être considérée comme étant raisonnable en vertu de l’article 1 de la Charte qui stipule que les droits garantis par la Charte « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. » Autrement dit, sa position était qu’imposer la Loi 115 était une limite raisonnable contre les droits des membres d’OSSTF/FEESO compte tenu des difficultés financières qu’éprouvait l’Ontario.
Dans sa prise de décision à savoir si l’Ontario avait ou non violé l’alinéa 2 d), le juge Lederer s’est particulièrement penché sur la mesure dans laquelle les syndicats pouvaient participer à de véritables négociations. Le fait que l’Ontario a imposé ses « paramètres » aux syndicats et qu’il n’acceptait pas de modification à ceux-ci était un facteur important, tout comme le refus du gouvernement ou son incapacité à fournir à un syndicat en particulier son objectif d’économies à réaliser et son acharnement connexe à savoir que toute proposition soumise par un syndicat devrait engendrer des économies suffisantes dans l’ensemble du secteur pour satisfaire aux besoins financiers du gouvernement. Dans l’évaluation du juge Lederer, les mesures prises, dans leur ensemble, par l’Ontario à partir de l’automne 2011 jusqu’à l’adoption de la Loi donnant la priorité aux élèves, étaient en violation des droits des requérants à une négociation collective véritable en vertu de l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Par la suite, le juge Lederer a passé en revue la Loi donnant la priorité aux élèves dans le but de déterminer si, en soi, la Loi était une violation de l’alinéa 2 d) et il a estimé que c’était le cas. Comme l’Ontario n’a pas réussi à convaincre les syndicats en éducation de conclure des ententes qui étaient conformes à ses paramètres, il leur a imposé le PE d’OECTA par le biais de la Loi donnant la priorité aux élèves. De plus, l’Ontario a introduit des dispositions dans la loi donnant à la ministre, par l’intermédiaire du lieutenant-gouverneur en conseil, la capacité d’interdire ou de mettre fin aux grèves, ce qui constituait une violation manifeste de l’alinéa 2 d).
L’argument de l’Ontario qu’il était justifié par l’article 1, en violation à la liberté d’association, a également échoué. Le juge Lederer a estimé que les moyens utilisés par le gouvernement pour atteindre ses objectifs financiers étaient arbitraires et n’avaient aucun lien rationnel avec ceux-ci. De plus, l’imposition de la Loi donnant la priorité aux élèves ne répondait pas à l’exigence de l’article 1 indiquant que tout manquement à la Charte doit constituer une atteinte minimale. Enfin, le juge Lederer a constaté que l’Ontario aurait pu atteindre ses objectifs financiers soit par des mesures législatives ou administratives plus ciblées ou par une véritable négociation collective plus juste.
L’importance de la décision
La décision du juge Lederer en avril 2016 a été une confirmation catégorique des droits des travailleurs. Elle a renforcé et consolidé les principes établis par la nouvelle trilogie du droit du travail. Elle a fait ressortir le principe sur lequel la liberté d’association comprend le droit à une véritable négociation collective et que celle-ci nécessite des consultations entre les parties aux négociations, de même qu’une certaine volonté à considérer les positions de l’autre partie. Elle a confirmé aussi que le droit de grève est essentiel à la liberté d’association et que l’imposition de toute limitation de ce droit doit être prise très sérieusement. Elle a corroboré que les gouvernements ne peuvent pas brandir les mesures législatives pour résoudre leurs problèmes financiers sans faire participer tous les syndicats affectés au processus de négociation collective.
Qu’en est-il des mesures correctives?
Il a été reconnu dès le début du processus judiciaire que, si la contestation en vertu de la Charte devait être perdue, aucune mesure corrective n’était requise, mais si la requête aboutissait, un certain nombre de jours d’argumentation juridique était nécessaire pour que toutes les parties puissent exprimer clairement leurs positions quant aux mesures correctives. Pour cette raison, on a demandé au juge Lederer de se prononcer seulement sur la question à savoir si l’Ontario avait ou non violé les droits des syndicats requérants en vertu de la Charte. On ne lui a pas demandé de rendre une décision sur les mesures correctives. L’Ontario et les syndicats requérants ont plutôt été encouragés à chercher leurs propres solutions et soit d’informer le tribunal lorsque cela serait fait ou de retourner devant le juge Lederer pour rendre une décision sur les mesures correctives.
Bien qu’il n’ait pas rendu de décision sur les mesures correctives, le juge Lederer s’est exprimé quant à ce qui pourrait être envisagé au moment de les examiner. Parmi ces observations, il a noté que le problème, selon lui, était le processus utilisé et non pas le résultat obtenu. Si le processus entrepris n’avait pas violé la Charte, les résultats auraient pu être les mêmes ou semblables à ce qui s’est produit. Le juge Lederer a aussi noté qu’il ne comprenait pas clairement « quel but serait atteint par une mesure corrective substantielle ou agressive. »
Il existait (et c’est toujours le cas) peu à notre disposition pour orienter les tribunaux sur ce qu’une mesure appropriée pourrait être dans de telles situations, autre que les décisions dans la saga opposant la Fédération des enseignants de la Colombie-Britannique (FECB/BCTF) c. la Colombie-Britannique. Dans cette affaire, en 2002, le gouvernement de la Colombie-Britannique a adopté la Loi 28, qui annulait certaines dispositions de la convention collective, en particulier celles concernant le nombre d’élèves par classe et leur répartition. La FECB a contesté la Loi 28 invoquant son inconstitutionnalité et l’affaire a été entendue par la Cour suprême de la C.-B., qui équivaut à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, le palier qui a entendu notre contestation de la Loi 115 en vertu de la Charte. En 2015, la Cour suprême de la C.-B. a statué en faveur de la FECB et a déclaré inconstitutionnelle la Loi 28. Comme réparation, le gouvernement de la C.-B. disposait d’un an pour élaborer une nouvelle loi de sorte qu’elle n’enfreigne pas les droits de la FECB en vertu de la Charte. Aucune compensation monétaire n’a été accordée pour la violation des droits des membres de la FECB en vertu de la Charte ou pour compenser ceux qui pourraient avoir été lésés.
Cette décision établit le précédent le plus similaire à la position d’OSSTF/FEESO dans sa contestation de la Loi 115 en vertu de la Charte. Elle donnerait probablement au juge Lederer une certaine orientation pour déterminer ce qui aurait pu constituer une mesure corrective appropriée dans l’affaire de la Loi 115 et cela confirme son observation voulant que « toute mesure corrective substantielle ou agressive » soit peu probable.
La décision de la FECB a été contestée, infirmée et contestée de nouveau. En fin de compte, la Cour suprême du Canada a donné raison à la FECB, mais une fois de plus la mesure corrective ordonnée par la Cour ne contenait pas d’élément pécuniaire.
Tous ces facteurs ont été pris en compte lorsqu’OSSTF/FEESO a rencontré le gouvernement de l’Ontario pour discuter d’une entente sur les mesures correctives émanant de la décision du juge Lederer. Étant donné que la décision concernant la FECB à la Cour suprême de la C.-B. était le seul précédent véritable montrant ce à quoi nous pourrions nous attendre des tribunaux, l’option de négocier une mesure hors des tribunaux était très alléchante. À la fin, la mesure négociée a obtenu un résultat que la FECB n’a pas pu réaliser par l’intermédiaire de la Cour, à savoir des compensations pour les membres d’OSSTF/FEESO qui ont souffert des conséquences néfastes de la violation par l’Ontario de leurs droits en vertu de la Charte.
Qu’est-ce que cela implique pour l’avenir?
La décision du juge Lederer aura des répercussions durables sur les relations de travail dans le secteur public. Elle s’appuie sur les bases créées par la nouvelle trilogie du droit du travail au Canada et elle assurera qu’à l’avenir, lorsque l’Ontario discutera avec les syndicats du secteur public, en dépit des objectifs financiers qu’il puisse avoir, le processus utilisé pour atteindre ces objectifs prévoit une véritable négociation collective. Ainsi les membres des syndicats du secteur public en Ontario verront leur droit de grève entièrement protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.
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