Les contradictions autodestructrices de l’austérité

Une réaction plus sensée à la crise économique

Illustration représentant l’austérité

Austérité est un mot de neuf lettres qui, pour une grande part, en est venu à défi- nir la réaction fiscale du Canada à la crise financière et à la récession. Mais pour les experts en politique économique de toute tendance politique, il devient de plus en plus un mot de trois lettres – à mesure que plusieurs économistes et analystes reconnaissent que l’austérité fait plus de mal que de bien.

Le ralentissement sans précédent de 2008-2009 a accablé les gouvernements de lourds déficits. Cela n’avait rien de surprenant. Après tout, les déficits sont automatiquement créés lorsque le chô- mage augmente et que les revenus et les dépenses diminuent. Ces déficits cycliques sont appropriés et même utiles. Ils aident à alimenter le pouvoir d’achat même quand le secteur privé est plongé dans la récession.

Aux débuts du ralentissement, la plupart des gouvernements (dont celui du Canada) ont mis en place des mesures de relance afin d’injecter un pouvoir d’achat additionnel dans l’économie. Ces mesures étaient essentielles pour arrêter le ralentissement et alimenter une année initiale ou deux de relance relativement dynamique.

Or, rendus en 2011, de nombreux gouvernements (y compris encore celui du Canada) avaient relâché la pédale d’accé- lération des mesures de relance et avaient appuyé fermement les allègements fiscaux. D’importantes compressions de programmes dans les secteurs public, de l’emploi et des investissements ont été toutes conçues dans l’espoir d’éliminer les déficits et d’arrêter l’augmentation de la dette publique.

Toutefois, lorsque le déficit est causé par un ralentissement économique, essayer de le résoudre par des réductions des dépenses est en soi une stratégie autodestructrice. Ces compressions intensifient, en fait, la faiblesse économique sous-jacente qui a causé, en premier lieu, le déficit.

Au mieux, l’austérité va à contre-courant d’une forte vague économique. Les économies de chaque réduction des dépenses sont partiellement dilapidées en raison de la baisse des revenus provenant de l’impôt des particuliers et des taxes sur les ventes résultant des pertes d’emplois dans le secteur public et des programmes publics. Au pire, une austérité draconienne peut aggraver la situation, en la faisant rebasculer vers une récession. C’est exactement ce qui s’est passé dans des régions durement touchées de l’Europe, où il est désormais universellement admis que l’austérité draconienne après 2008 s’est avérée être une énorme erreur politique.

Les adeptes de l’austérité ont longtemps prôné que l’équilibre budgétaire est le remède universel aux difficultés économiques des juridictions. Une croissance économique trop lente? Éliminez le défi- cit et l’économie montera en flèche. Au mieux, une création d’emplois modeste? Éliminez le déficit et voyez le taux de chômage reculer. L’investissement des entreprises inférieur aux attentes? Équilibrez le budget et les entrepreneurs se lanceront à l’assaut du pont Ambassadeur.

En réalité, l’austérité est plus complexe et destructrice. Même en période de prospérité, les défenseurs de l’austérité, de fa- çon générale, n’aiment pas les activités du secteur public. Ils ignorent que les programmes gouvernementaux et l’emploi contribuent grandement à la croissance économique. Par conséquent, lorsque les dépenses du gouvernement diminuent ou ralentissent, l’économie au sens large aura tendance à faire de même. Les économistes appellent ces retombées négatives « le freinage fiscal ». Il peut produire une croissance économique encore plus lente, freiner la croissance de l’emploi et détériorer la qualité de vie en raison de la négligence des services publics essentiels.

Selon les données les plus récentes de Statistique Canada, les dépenses publiques en programmes et en investissement aux trois paliers du gouvernement ont baissé de près de trois points de pourcentage du PIB du Canada depuis le printemps 2009, le sommet de l’effort de relance de courte durée. Le FMI estime un effet multiplicateur d’environ 1,5 sur les programmes gouvernementaux, ce qui signifie que chaque dollar des programmes publics génère un total de 1,50 $ en PIB, grâce aux retombées et aux incidences de dépenser à nouveau qui sont déclenchées par les dépenses publiques. Pensez, par exemple, aux emplois créés, lorsque les enseignants dépensent leur salaire pour acheter des biens de consommation de base. Par cette mesure, depuis 2009, l’austérité a fait chuter le PIB du Canada de 4,5 points, trois points de compression des dépenses multipliés par 1,5, ce qui équivaut à près d’un point de pourcentage par an.

Il n’est donc guère étonnant que, depuis quelques années, l’économie du Canada ait obtenu de si piètres résultats. Nous avons été dépassés par d’autres pays, dont les É.-U., qui se sont souciés davantage de la création d’emploi qu’à l’atteinte de budgets équilibrés.

À moins que les Canadiennes et les Canadiens ne réussissent à convaincre leurs gouvernements à changer de direction, plus de restrictions nous attendent. Le programme de dépenses d’Ottawa fera baisser le PIB d’un autre demi-point d’ici 2019. Pendant ce temps, l’Ontario pré- voit un pénible gel de la dépense nominale des programmes gouvernementaux, ce qui réduirait les dépenses par rapport au PIB de près de deux points d’ici 2018.

En bref, l’austérité peut causer plus de dommages que le mal qu’elle essaie de guérir. L’expérience américaine fournit un exemple de la différence que cela aurait pu faire. Là-bas, le gouvernement a toléré de plus grands déficits et a adopté d’autres mesures inhabituelles de création d’emplois, comme (l’assouplissement quantitatif du système bancaire). Jusqu’à présent, l’économie amé- ricaine a pris de l’élan avec régularité ces dernières années, laissant le Canada se faire distancer. Son déficit est plus important et sa dette plus élevée, cependant il crée de nouveaux emplois à un rythme plus soutenu, générant ainsi de nouveaux revenus. Le déficit s’amenuise rapidement, une heureuse conséquence.

Les É.-U. ont créé en moyenne plus de 200 000 emplois par mois au cours de l’année dernière. Leur économie a augmenté à un taux annualisé de cinq pour cent au cours du troisième trimestre de 2014, de loin plus rapide que celui du Canada. Oui, leur déficit est plus gros. Mais le gouvernement, comme celui du Canada, peut financer ces déficits à des taux d’intérêt les plus bas. Au contraire, de solides arguments justifient d’augmenter les emprunts pour soutenir les investissements en matière d’infrastructure, tant que les taux d’intérêt avoisinent zéro et que les investissements dans le secteur privé continuent de stagner.

Ici en Ontario, il y a enfin certains signes d’espoir économique qui pointent à l’horizon. Un dollar faible et l’économie américaine en expansion permettront de stimuler la demande des exportations de produits fabriqués en Ontario, depuis le secteur manufacturier jusqu’au tourisme. Une production et des ventes plus élevées dans les entreprises ontariennes, s’accompagnant d’emplois plus nombreux et meilleurs, généreront des revenus plus hauts pour le gouvernement provincial, revenus qui serviront directement à réduire le déficit et à payer pour les services publics auxquels s’attendent tous les Ontariens et Ontariennes.

Et l’Ontario ne doit pas dépendre uniquement d’une croissance économique pour stimuler les revenus. Le gouvernement provincial devrait également envisager des mesures fiscales ciblées en vue d’annuler les compressions budgétaires des deux dernières décennies. Une estimation récente de l’économiste Hugh Mackenzie révèle qu’en 2013, les réductions d’impôt depuis la moitié des années 1990 ont amoindri les revenus provinciaux de près de 19 milliards de dollars. Ramener les taux d’imposition du revenu des sociétés aux niveaux précé- dents ou augmenter les taxes sur l’essence, peut-être dans le cadre d’une politique sur les émissions carboniques reportée depuis longtemps, pourrait mobiliser les fonds supplémentaires nécessaires pour appuyer l’investissement dans le secteur public.

La politique et l’idéologie de l’austérité ont perdu considérablement de leur popularité depuis quelques années. Des politiques plus progressistes, comme les investissements en matière d’infrastructure, des dépenses de programme soutenues et des mesures fiscales là où c’est nécessaire, seraient opportunes et plus efficaces pour relever à la fois les défis fiscaux et sociaux auxquels l’Ontario est confronté. Alors que le gouvernement ontarien réfléchit à la manière de gérer ses finances, il serait judicieux d’envisager toutes les options.

About Kaylie Tiessen and Jim Stanford
Kaylie Tiessen est économiste au Centre canadien de politiques alternatives et effectue des recherches sur les marchés du travail, les budgets provinciaux et l’importance des services publics. Jim Stanford est économiste chez Unifor, le plus récent syndicat au Canada. Il écrit des articles sur l’économie pour The Globe and Mail et il fait régulièrement partie du groupe d’experts de Bottom Line à l’émission The National de CBC. Suivez-les sur Twitter à @KaylieTiessen et à @JimboStanford.

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