Le porte-à-porte pour la campagne Harris-Walz

par Allisson Willis (elle), Organisatrice provinciale d’OSSTF/FEESO et Jared Hunt (il/lui), Organisateur régional d’OSSTF/FEESO
Comment se fait-il qu’un post sur les réseaux sociaux d’un capitaliste riche et très influent, clairement dirigé contre une personne ou une position progressiste de gauche provoque presque instantanément une réponse agressive de dizaines de milliers de fidèles, tout en sachant que le post mène à l’intimidation numérique, à des accusations injustifiées et à l’humiliation sociale? Un groupe de dirigeant(e)s syndicaux, d’organisatrices et d’organisateurs, et de militant(e)s a réfléchi sérieusement à cette question lors d’une séance de formation à Philadelphie au début du mois de novembre 2024, à quelques jours des élections fédérales aux États-Unis. OSSTF/FEESO était représenté par la présidente Karen Littlewood, l’agente de l’Exécutif Sherry-Ann Bowen-Gorden, et l’organisatrice provincial Allison Cillis et l’organisateur régional Jared Hunt au sein d’un groupe de syndicalistes du secteur de l’éducation qui ont sauté sur l’occasion de se joindre à un groupe plus important de membres de l’Union internationale des employés des services (UIES) de l’Ontario et leur homologue américain du Service Employees International Union (SEIU) dans la ville de l’amour fraternel. Les unités du SEIU au sud de la frontière sont réputées pour leur organisation approfondie, basée sur les enjeux, et pour la manière dont elles tirent parti de cette organisation lors des élections fédérales et provinciales. Pour le SEIU, demander à ses membres de participer à des activités pour faire sortir le vote et de soutenir un candidat progressiste, comme Kamala Harris, dans les semaines précédant le jour de l’élection est le point culminant des années d’engagement minutieux des membres. Nous nous sommes rendus à Philadelphie pour apprendre du SEIU et pour l’aider à mettre en œuvre sa stratégie de participation aux élections en faisant du porte-à-porte dans l’ouest de Philadelphie—dans des quartiers où les citoyens noirs et latins sont majoritaires. Nous avons participé à des ateliers et à des formations à la solidarité le matin et avons mis en pratique ce que nous avions appris sur le terrain jusqu’à tard dans la journée. L’importance des histoires et des récits a été un thème commun durant les séances de formation du matin et le porte-à-porte quotidien.
Nous avons été formés à l’utilisation d’un script qui combinait l’interrogation des résidents sur les défis quotidiens vers l’élaboration d’un plan de vote. Non seulement nous avons écouté et compris les histoires de lutte, mais nous avons aidé à façonner le changement—en leur montrant qu’un plan de vote pour madame Harris était le meilleur moyen d’améliorer leur qualité de vie. Les tactiques de GOTV du SEIU dans l’ouest de Philadelphie, dans le reste de la ville et dans tout l’état pendant les derniers jours de l’élection étaient basées sur une stratégie beaucoup plus étendue, qui impliquait l’engagement des membres pendant de nombreuses années dans l’organisation communautaire en fonction des enjeux et des politiques, dans des quartiers, des villes et des états clés. Même si un grand nombre des résident(e)s de Philadelphie et de Pittsburgh ont soutenu madame Harris, une vaste majorité de ces derniers à l’échelle de l’état ne l’ont pas fait. Néanmoins, le SEIU continue d’œuvrer. Le fait d’établir des liens à travers des histoires de luttes partagées, positionne le travail d’organisation comme forme de résistance contre une société de classes fracturée—cette approche était évidente dans la façon dont les organisatrices et organisateurs du SEIU ont abordé l’organisation numérique et les récits.
Les syndicats et les organisations de justice sociale perdent du terrain dans l’écosystème de l’organisation numérique en raison de la capacité de l’« alt-right » néolibérale à produire du contenu viral. Il est de plus en plus difficile de rivaliser avec le néolibéralisme et l’organisation de l’« alt-right». L’expérience des citoyen(ne)s dans le capitalisme néolibéral est à l’origine d’une société fracturée, où les institutions de pouvoir considèrent les gens comme des unités individuelles de contribuables, d’électeurs ou de consommateurs, pour n’en citer que quelques-unes. Les champions du capitalisme néolibéral prospèrent dans une société individualiste et fracturée parce qu’il est beaucoup plus facile d’accumuler des richesses, d’obtenir du pouvoir politique et d’éviter d’aider les personnes vulnérables et l’environnement. Ils ne s’intéressent pas aux conséquences sociales de l’affichage de positions pompeuses, mensongères et ouvertement extrêmes sur les réseaux sociaux, car ces messages ont pour but de continuer à fracturer l’identité collective des communautés. Ils ne se soucient pas de l’endroit où leurs coups de poing atterrissent, tant qu’ils sèment la méfiance et provoquent la division.
Le contraire est vrai pour les syndicats. La formation syndicale, la structure de représentation, l’action politique et les conventions collectives rassemblent les membres pour réduire les disparités et les divisions au sein de la société. Le travail d’organisation des syndicats peut mener à la solidarité et au collectivisme, en particulier autour des campagnes de négociation et de justice sociale. Ainsi, lorsqu’ils publient des messages sur les réseaux sociaux, les dirigeant(e)s syndicaux et les membres politiquement actifs tiennent compte de l’impact sociétal de leurs messages et font de leur mieux pour limiter les dommages sociaux. Les militant(e)s syndicaux et de la justice sociale estiment qu’ils doivent créer une présence sur les réseaux sociaux tout en étant respectueux, en démontrant qu’ils comprennent les informations exactes grâce à la recherche et à l’expérience vécue, car ils ciblent directement les représentantes et représentants néolibéraux et les décideurs politiques élus. Pour que les progressistes cliquent sur « j’aime » et « partager », ils doivent voir une bonne valeur sociale dans le message. Il est important de souligner que ce type d’approbation sociale ne se produit pas dans les messages néo-libéraux de l’« alt-right » sur les réseaux sociaux; un influenceur publie quelque chose et les adeptes s’engagent automatiquement. Il n’y a pas besoin de valeur ajoutée, ce qui accroît la viralité du message.
Selon la formation du SEIU, les syndicats et l’organisation de la justice sociale doivent établir leur propre version de la viralité. Les organisatrices et les organisateurs numériques du SEIU sont convaincus que cela est possible, mais qu’il faut un effort coordonné pour créer une culture d’engagement. Nous savons qu’en moyenne, les individus consultent leur téléphone 58 fois par jour, que 97 % des textos sont lus dans les 3 minutes et que la moitié des membres s’informent sur les réseaux sociaux. Il s’agit donc de mettre en place un réseau de réaction rapide qui utilise de courtes vidéos pour raconter des histoires qui mènent à une action réelle. Après tout, une bonne histoire qui s’adresse aux bonnes personnes peut provoquer un changement. À quoi ressemble ce type de solidarité numérique? Lorsque Drew Barrymore a tenté de franchir le piquet de grève de la Writers Guild of America, la tempête de médias sociaux qui s’en est suivie l’a amenée à arrêter le tournage de son émission et à s’excuser publiquement. La tentative de Drew Barrymore de maintenir son émission est un bon exemple de la manière dont les récits numériques peuvent entraîner des changements positifs. À la suite de centaines de messages stratégiques, l’organisation du National Book Award a décidé d’annuler l’invitation faite à Mme Barrymore d’animer sa cérémonie annuelle de remise des prix. Les récits numériques ont atteint un niveau de frénésie encore plus élevé lorsqu’elle a doublé ses torts d’un affront en enregistrant son émission. Pendant l’enregistrement, les trois scénaristes syndiqués de l’émission ont fait le piquet devant le siège social de CBS à New York avec des pancartes dénonçant la décision de Mme Barrymore. La pression a apparemment conduit à l’annulation de futurs invités. Elle s’est finalement excusée et a décidé de ne pas diffuser l’émission enregistrée. Le récit numérique autour de la décision de madame Barrymore de franchir la ligne de piquetage montre ce qu’il est possible de faire lorsque les membres d’un syndicat utilisent l’organisation numérique au bon moment pour reprendre le contrôle du récit.
Une autre stratégie de récit élaborée par le SEIU a été son programme relationnel 2024 GOTV. Après avoir examiné les résultats des élections précédentes, le syndicat a reconnu l’importance d’inciter les gens à se rendre aux urnes pour voter. Nous savons qu’en matière d’engagement électoral, le récit joue un rôle important en permettant aux électrices et électeurs de garder à l’esprit les questions importantes et en parlant aux électrices et électeurs potentiels de leur plan de vote, mais l’utilisation de la narration doit aller encore plus loin. Le SEIU a voulu utiliser une tactique que les militant(e)s, les bénévoles et les membres pouvaient mettre en œuvre pour atteindre leurs réseaux personnels, car il est beaucoup plus facile de s’adresser à quelqu’un que l’on connaît qu’à des inconnus.
Le SEIU n’a pas agi avec désinvolture. Elle a longuement réfléchi au message et à la manière de former ses membres à envoyer des messages ciblés, que ce soit en personne, par courriel, par texto ou par téléphone. L’organisation relationnelle s’est faite par l’intermédiaire d’une stratégie simple où les membres demandaient à leur famille et à leurs amis de faire appel à leurs réseaux personnels. Ils ont appelé cette tactique « vous plus trois ». En d’autres termes, l’idée est de contacter trois personnes que vous connaissez pour les encourager à voter pour la candidate. Cette tactique a des chances d’augmenter le nombre de votes en faveur du candidat. Pour le SIEU, elle permet également de découvrir de nouveaux électeurs qui ont une relation sociale spécifique avec le membre du syndicat. L’organisation relationnelle est non seulement un bon moyen de créer une cartographie sociale des membres, mais aussi, c’est une bonne occasion d’enseigner et de pratiquer des tactiques de persuasion et de participation électorale.
Le SEIU a réfléchi au moment où il a demandé à ses membres de faire ce type d’organisation, reconnaissant que la sensibilisation du public n’est pas une stratégie qui est toujours en œuvre. Quoi qu’il en soit, les organisatrices et organisateurs ont élaboré des stratégies créatives pour développer l’organisation relationnelle au sein des unités de négociation. Ils ont organisé des soirées Zoom et des rencontres en personne pour permettre aux gens de socialiser et de passer à l’action. Pendant les élections fédérales, le SEIU a élargi l’organisation relationnelle en déployant des membres dans des zones à forte circulation piétonne avec une affiche que les passants pouvaient prendre en photo pour l’envoyer à leurs amis et à leur famille afin de les encourager à voter. Les tactiques d’organisation relationnelle de ce type sont efficaces en partie parce qu’il s’agit d’actions facilement assimilables par les gens. Indépendamment du résultat de l’élection, le SEIU a remporté de nombreuses victoires grâce aux stratégies et aux actions mises en œuvre. Il a trouvé de nouveaux moyens de responsabiliser et d’informer ses membres au sujet de l’organisation relationnelle. Ainsi, ils ont maintenant la capacité de continuer à développer et à affiner ces tactiques dans les campagnes internes et externes à venir. Les organisatrices et organisateurs du SEIU ont constaté que le financement et le temps consacrés à l’organisation de ces méthodes n’ont pas seulement eu un impact, mais également, qu’ils seront durables à long terme.
Chose certaine, les élections aux États-Unis sont très différentes de celles qui se déroulent en Ontario. Les Américains sont prêts à parler de politique et de leurs propres problèmes et convictions, ce qui n’est pas tout à fait le cas au nord de la frontière. L’idée que l’on ne peut pas parler de politique à table est encore très répandue au Canada. Ce phénomène social est troublant et problématique car il a pour effet (parfois intentionnel) de réduire les voix au silence et de les priver de leurs droits. Comment les enfants peuvent-ils grandir en sachant comment discuter de l’économie politique ou de la politique façonnée par le discours politique, par exemple, si la notion de politique est un sujet tabou à la maison? Les membres d’OSSTF/FEESO ont une grande diversité de récits et d’expériences à partager au sujet de l’éducation publique et bien d’autres choses encore. En tant qu’enseignantes et enseignants et travailleuses et travailleurs en éducation de première ligne, nous avons la capacité de relier les préoccupations éducatives à d’autres questions qui préoccupent les gens par l’entremise de nos récits partagés. Il est important que nous nous inspirions des méthodes utilisées par le SEIU lors des élections américaines et canadiennes et que nous encouragions nos propres membres à partager leurs vérités non seulement avec leurs amis et leur famille, mais aussi avec le public, sur les raisons pour lesquelles il est si important que nous élisions des candidat(e)s et des gouvernements favorables à l’éducation.
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