“Cela sauve des vies,” nous ont-ils dit!

Réflexion sur la solidarité internationale

A book open with eyes looking at it
par Domenic Bellissimo (il/lui), Membres retraités actifs (MRA), section 12

Ma carrière au Bureau provincial de la Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (OSSTF/FEESO) s’est étendue sur 24 ans où, en plus d’être organisateur, j’étais également membre du personnel dans les Secteurs des services de protection (anciennement la Négociation collective) et de Communications/action politique (CAP). J’ai été directeur du secteur CPA et quand j’ai pris ma retraite, j’occupais le poste de secrétaire général adjoint, division des Services professionnels. Je fais actuellement partie du Comité exécutif de la section des membres retraités actifs (MRA) de la Fédération à Toronto.

J’ai donc vu notre syndicat sous plusieurs angles, mais une chose est restée constante tout au long de mon adhésion : l’élaboration du syndicat et le renforcement de la solidarité étaient deux des tâches les plus importantes à accomplir.
En novembre dernier, j’ai participé à la Conférence sur le perfectionnement professionnel du personnel de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE), où j’ai partagé mon expérience de responsable de projets internationaux dont OSSTF/FEESO faisait partie.

Quel que soit le pays où j’ai voyagé, j’ai découvert que les syndicats d’enseignantes et d’enseignants et d’éducatrices et d’éducateurs étaient souvent en première ligne dans la lutte pour les droits de la personne et la justice sociale. Ils défendaient les intérêts de leurs élèves, de leurs communautés et de leurs familles, souvent dans la rue et en opposition à des gouvernements réactionnaires prêts à utiliser la police et l’armée contre leurs citoyens. Ils étaient considérés comme des leaders. Des leaders courageux.

En Afrique du Sud, notre solidarité remonte à plusieurs décennies, à l’époque du régime d’apartheid, lorsque nous demandions que Nelson Mandela soit libéré de la prison et que des élections libres et équitables soient organisées dans le pays. Une personne, un vote était l’objectif à atteindre pour contribuer à l’instauration de la démocratie dans le pays.

Quel que soit le pays où j’ai voyagé, j’ai découvert que les syndicats d’enseignantes et d’enseignants et d’éducatrices et d’éducateurs étaient souvent en première ligne dans la lutte pour les droits de la personne et la justice sociale.

OSSTF/FEESO peut dire avec fierté que la Fédération a participé au parrainage du plus grand événement scolaire en 1995 au SkyDome à Toronto, lorsque des dizaines de milliers d’élèves sont venus écouter Nelson Mandela s’adresser à eux. Notre Fédération a continué à renforcer ses relations avec le SADTU (Syndicat démocratique des enseignant(e)s d’Afrique du Sud), le plus grand syndicat multiracial de l’éducation du pays. Nous avons collaboré à l’élaboration du matériel pédagogique Common Threads sur le VIH/sida et nous nous sommes accueillis mutuellement lors de congrès.

À l’occasion d’un voyage en Colombie (un des pays les plus dangereux pour les dirigeant(e)s syndicaux et les militant(e)s des droits de la personne depuis de nombreuses années), j’ai entendu dire que les enseignant(e)s continuaient à dénoncer les injustices et à réclamer une société plus juste qui inclurait une éducation publique bien financée dans chaque communauté. Souvent au péril de leur vie, ils ont fait de leurs écoles des « zones de paix », empêchant l’armée et les groupes de guérillas d’utiliser leurs campus comme zones de transit. Les militant(e)s colombiens nous ont exhortés à continuer à témoigner de leurs luttes afin que le gouvernement sache que le monde entier les observe. « Cela sauve des vies », nous ont-ils dit! Aujourd’hui, nous continuons à soutenir les enseignantes et enseignants colombiens dans le cadre de leur projet de cercles pédagogiques.
Aujourd’hui au Guatemala, en Argentine et au Mexique, ce sont les enseignantes et enseignants et leurs syndicats qui ont dénoncé la privatisation des services en faveur des services publics. Ils ont parfois dû résister aux gaz lacrymogènes et à l’intimidation.

ll y a quelques années, lors d’une tournée pour promouvoir les droits de la personne avec un certain nombre de syndicats de l’éducation, j’ai vu une dame âgée au Honduras qui a manifesté contre un coup d’État, alors qu’on l’avait avertie de ne pas le faire.

Elle s’est mise à chanter en espagnol en direction des policiers et des soldats. Elle pointait sa canne en criant : « Ils ont peur de nous, parce que nous n’avons PAS peur d’eux ».
Mon message est donc simple. Lorsque nous luttons contre les violations des droits de la personne, nous sauvons des vies. Lorsque nous dénonçons le racisme, le sexisme et l’homophobie, nous sauvons des vies! Lorsque nous nous opposons à la guerre et à l’occupation—et lorsque nous prenons la défense de nos étudiants et des identités qu’ils ont choisies—nous sauvons des vies.

Il est fondamental de reconnaître que les luttes des pays du Sud sont liées aux nôtres. La solidarité ne signifie PAS la charité.

Nous sous-estimons parfois l’étendue de notre famille éducative dans le monde. Il suffit d’y penser. Dans chaque pays, dans chaque grande ville, dans la plupart des petites villes et dans de nombreux villages, nous avons des éducatrices et éducateurs qui font partie de la plus grande fédération mondiale de syndicats en éducation—l’Internationale de l’Éducation. La force de ces éducatrices et éducateurs et de l’Internationale de l’Éducation réside dans le respect et la crédibilité qu’ils exigent—le respect et la force d’être écoutés par les parents et par les gouvernements, lorsqu’ils sont contraints de le faire.

Renforcer la solidarité syndicale—Qu’est-ce que cela signifie?

J’ai brièvement abordé la question de la solidarité internationale. Il ne s’agit pas seulement d’envoyer des ressources du Nord vers le Sud. Il est fondamental de reconnaître que les luttes des pays du Sud sont liées aux nôtres.

La solidarité ne signifie PAS la charité.

C’est reconnaître que nous devons nous unir pour changer les inégalités systémiques qui touchent tant de personnes dans le monde. L’éducation est essentielle à cette cause.

En éduquant nos membres sur les questions qui touchent les autres, nous approfondissons notre compréhension des causes sous-jacentes de l’inégalité mondiale et nous nous rappelons que l’apprentissage est un processus à double sens. L’éducation peut se faire n’importe où—dans une salle de classe, au bureau du syndicat ou dans la rue.

Comme le souligne M. Webb dans le magazine Canadian Dimension, dans leur nouveau livre intitulé Solidarity, les auteurs américains Hunt-Hendrix et Taylor insistent sur le fait que la solidarité est à la fois un principe et une pratique. Une pratique qui doit être cultivée et institutionnalisée afin que le souci du bien commun devienne l’objectif central de la politique et de la vie sociale (Webb).

Il y a quelques années, aux États-Unis, le mouvement « Red for Ed » parlait de grève pour le « bien public ». Il regroupait plus de 100 000 éducatrices et éducateurs, principalement dans des États républicains. Comme ils le disaient, ils se battaient pour l’avenir de l’éducation publique aux États-Unis. Je dirais qu’ils devront rester mobilisés compte tenu des attaques de l’administration Trump qui s’en viennent et qui continueront à démanteler les soutiens et les programmes que nous apprécions dans la société civile.

J’aime décrire la solidarité comme un processus évolutif et à la fois un mot d’action.

Chose certaine, nous devons pratiquer la solidarité en action en collaboration avec les autres, afin qu’ils considèrent que nos luttes sont importantes pour eux et vice versa. L’expression : « Quand on a besoin d’un ami, il est peut-être trop tard pour aller en chercher un » est en fait très vrai. Nous devons être proactifs. Notre solidarité doit être authentique, continue et respectueuse afin que nous ne paraissions pas égoïstes lorsque nous recherchons le soutien d’autres personnes.
Hunt-Hendrix et Taylor notent également que la solidarité ne signifie pas la similitude, mais plutôt la reconnaissance de notre interconnexion et du pouvoir que nous détenons collectivement pour faire avancer le changement social. La solidarité exige la reconnaissance d’une lutte commune sans pour autant effacer les différences importantes au niveau de nos circonstances (Webb).

J’aime décrire la solidarité comme un processus évolutif et à la fois un mot d’action.

Je suis de plus en plus convaincu que les attaques que nous subissons dans l’éducation publique (depuis trois décennies) proviennent d’autres pays et font partie d’un plan mondial visant à privatiser tout ce qui peut rapporter de l’argent. Il n’y a rien de complotiste dans le fait de voir l’escroquerie.

Dans son livre Public Education, Neoliberalism and Teachers, l’auteur canadien (et ancien membre d’OSSTF/FEESO) Paul Bocking illustre les défis similaires auxquels sont confrontés les éducatrices et éducateurs au Mexique, à New York et à Toronto. Souvent, les entreprises privées qui vendent des ressources éducatives ou des formations travaillent également dans tout l’hémisphère. Nous savons que les gouvernements échangent des stratégies et des plans pour ce qu’on appelle les « réformes éducatives» (Bocking).

C’est pourquoi notre travail au sein de la Coalition trinationale pour la défense de l’éducation publique est si important. Travailler avec des éducatrices et éducateurs du Mexique, des États-Unis et du Canada nous permet de partager des caractéristiques et des stratégies communes pour résister à la privatisation.

Selon Larry Kuehn, de la Fédération des enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique (FECB) et membre fondateur de la Coalition, les conférences peuvent servir de points de comparaison, d’inspiration et de solidarité :

Nous nous percevons beaucoup plus clairement lorsque nous avons l’occasion de regarder en dehors de nous-mêmes. Grâce à la comparaison, nous pouvons comprendre nos propres problèmes dans un contexte plus large, et développer un meilleur sens de nos propres privilèges en tant qu’enseignantes et enseignants dans les écoles publiques au Canada.

Les enseignantes et enseignants autochtones à qui nous avons rendu visite à Orizaba, dans l’État de Veracruz sont une source d’inspiration pour ce qui peut être accompli contre toute attente. Ils sont en train de créer une école pour préserver leur langue autochtone et leur culture pour les générations futures. Le personnel enseignant dirigeant de Chicago dit que lorsqu’il a entendu parler des syndicats canadiens lors d’une conférence trinationale, cela a été une source d’inspiration pour le travail qu’il a accompli afin de revitaliser son propre syndicat, qui a à son tour servi d’inspiration aux centaines de milliers d’enseignant(e)s aux États-Unis qui ont été en grève l’année dernière pour obtenir de meilleures conditions de travail. La solidarité peut prendre des formes inattendues. Lorsque la Fédération des enseignantes et enseignants de la Colombie-Britannique était en grève illégale, il y avait un risque que les tribunaux ordonnent que le site web de la Fédération ne soit pas utilisé pour des communications liées à la grève. La section mexicaine de la coalition trinationale a créé un site web qui pourrait être utilisé par la Fédération si elle en avait besoin. Plus de 30 millions d’entre nous enseignent et travaillent dans les écoles publiques dans le monde entier et ont un intérêt commun dans la défense de l’éducation publique. La Coalition trinationale est l’un des nombreux moyens par lesquels nous agissons ensemble au nom de cet intérêt commun (Kuehn).

La solidarité internationale n’est pas une réalité que l’on peut mettre en place en quinze jours. Elle se développe au fil des années en parallèle avec l’établissement de relations, en écoutant et en cernant la manière dont nos différences et nos points communs s’entrecroisent. Travailler ensemble pour le bien de tous, sous un arc mondial de solidarité, est le seul moyen de contrer la haine, l’oppression et les inégalités. L’expérience d’OSSTF/FEESO dans le cadre de ces relations internationales nous profite localement tout en renforçant le mouvement syndical dans son ensemble. Il ne s’agit là que d’un aperçu du travail effectué par la Fédération dans le cadre du mouvement mondial pour les droits des travailleuses et travailleurs (nous avons également établi d’autres relations avec des organisations syndicales au Bangladesh, en Australie, dans l’ensemble des États-Unis et en Europe). Plus nous chercherons à établir des partenariats, plus nous serons unis dans la recherche de la protection et de la promotion des services et des politiques qui protègent le bien public, plus nous pourrons accomplir de bonnes choses.

 

CITATIONS
Bocking, Paul. Public Education, Neoliberalism, and Teachers in New York, Mexico City, Toronto. University of Toronto Press, 2020.
Kuehn, Larry. “Acting Together Across North America for Public Education.” CTF Blog Perspective, Feb. 2019.
Webb, Chris. “To Build Solidarity with Palestine, Canada’s Labour Movement Must Look to the Past.” Canadian Dimension, 27 Sept. 2024, https://canadiandimension.com/articles/view/to-build-solidarity-with-palestine-canadas-labour-movement-must-look-to-the-past. Accessed Nov. 14, 2025.
Hunt-Hendrix, Leah, and Astra Taylor. Solidarity: The Past, Present, and Future of a World-Changing Idea. Pantheon, 2024.
“Education for Solidarity.” IDEA Network, http://idea-network.ca/en/?p=514. Accessed May 7, 2025.

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