De la crise au changement

L’impact durable du mouvement de la lutte contre le VIH/sida et du plaidoyer 2SLGBTQIA+ sur les soins de santé

par Ken Miller

Le début des années 1980 a été une période de crise et d’éveil pour la communauté 2SLGBTQIA+, avec l’épidémie de VIH/sida qui s’est révélée être une urgence sanitaire dévastatrice, et les descentes de police dans les bains publics de Toronto qui ont discriminé et incriminé les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. De ces expériences est né un mouvement qui a non seulement remis en question le statu quo, mais qui a également repensé les soins de santé, les politiques publiques et les droits civils à l’échelle mondiale.

Un mouvement de survie et de résistance

Lorsque le VIH/sida est apparu pour la première fois, il a été accueilli avec crainte, ignorance et hostilité, en particulier envers les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, qui ont été les plus touchés par la colère de l’épidémie. Le virus est rapidement devenu un symbole de stigmatisation sociale profondément ancré contre celles et ceux qui ne se conformaient pas aux idéaux hétéronormatifs. Toutefois, plutôt que de succomber au désespoir, les militants de la communauté 2SLGBTQIA+ ont répliqué d’une façon qui allait changer à jamais la manière dont les soins de santé sont prodigués et les politiques de santé publique sont élaborées.

Un des groupes les plus visibles et les plus influents issus de ce mouvement est ACT UP (AIDS Coalition To Unleash Power), fondé en 1987 à New York. ACT UP est né de la frustration engendrée par l’inaction du gouvernement et la lenteur de l’approbation des médicaments, qui ont laissé d’innombrables personnes mourir faute d’avoir accès aux traitements qui auraient pu sauver leur vie. Par l’action directe, les protestations et un plaidoyer incessant, ACT UP a fait pression sur la Food and Drug Administration aux États-Unis pour qu’elle accélère le processus d’approbation des nouveaux médicaments, afin que les patients atteints de maladies potentiellement mortelles puissent accéder plus rapidement aux traitements expérimentaux. Leur activisme a fait plus que sauver des vies; il a réformé l’ensemble des processus d’approbation des médicaments, créant ainsi un précédent qui profiterait plus tard aux patients atteints d’autres maladies, notamment le cancer et d’autres maladies rares.

Transformer les politiques publiques et les modèles de soins de santé

L’influence du mouvement de lutte contre le VIH/sida n’était pas limitée aux États-Unis. Au Canada, comme partout au monde, l’activisme suscité par l’épidémie a entraîné de profonds changements dans les politiques publiques et la création de modèles de soins plus compatissants et axés sur le patient. L’accent mis par le mouvement sur l’équité, l’accès et les droits des patients a mis les gouvernements et les systèmes de santé au défi de s’attaquer à la discrimination profondément ancrée dans nos systèmes.

À Toronto, les descentes dans les bains publics de 1981 ont été le début de l’acti­visme 2SLGBTQIA+ au Canada. Les descentes policières, qui ont ciblé quatre bains publics fréquentés par des hommes gais et un par les femmes, ont conclu à l’arrestation de plus de 300 personnes et incité l’une des plus grandes protestations de masse de l’histoire du Canada. Ces événements ont souligné d’une manière brutale la discrimination omniprésente contre la communauté 2SLGBTQIA+ et ont déclenché un mouvement qui allait finalement instaurer la Semaine de la fierté de Toronto, une célébration qui est toujours une force puissante pour la justice sociale et l’inclusion.

Les efforts de sensibilisation qui ont émergé de la crise du VIH/sida et des descentes dans les bains publics ont menés à des innovations importantes en matière de santé publique, notamment dans des stratégies de réduction des risques. Des programmes tels que l’échange des seringues et la création de sites d’injection sécurisés, initialement destinés à freiner la propagation du VIH, font désormais partie intégrante des méthodes de protection de la santé publique, partout au monde. Ces programmes, établis sur des faits probants et compatissants, reflètent l’évolution des traitements préservant la dignité, plutôt que la criminalisation et la répression.

L’héritage des soins communautaires

Le mouvement de lutte contre le VIH/sida a aussi révolutionné la façon dont les soins de santé sont prodigués. Confrontés à un système de santé souvent indifférent ou hostile, les militants et les professionnels de la santé ont créé des modèles de soins communautaires qui mettent l’accent sur des services holistiques et centrés sur les patients. Ces modèles intègrent les soins médicaux au soutien social et psychologique, reconnaissant que la santé ne consistait pas seulement à soigner la biologie du corps, mais aussi le bien-être mental et émotionnel des
individus.

Cette approche multidisciplinaire, qui a réuni des médecins, des infirmières et infirmiers, des travailleuses sociales et travailleurs sociaux et des professionnels de la santé mentale, a été adoptée dans d’autres secteurs de la santé, notamment dans la gestion des maladies chroniques. L’accent mis sur la défense des droits et la participation des patients, pierre angulaire du mouvement de lutte contre le VIH/sida, a redéfini le rôle des patients dans leurs propres soins, leur permettant de jouer un rôle proactif dans leur traitement et de veiller à ce que leur voix soit entendue.

Construire un système de santé plus inclusif

Fort probablement, l’impact le plus durable du mouvement de lutte contre le VIH/sida et de l’activisme 2SLGBTQIA+ a été la promotion d’un système de santé plus inclusif et plus équitable. Le mouvement a mis en évidence les disparités auxquelles étaient confrontées les communautés marginalisées et a entraîné un changement de la société vers une reconnaissance et une lutte contre ces inégalités. Au Canada, ce changement a servi à créer la Fondation Trillium de l’Ontario en 1982, qui soutient les initiatives communautaires de partout en Ontario. L’accent mis par la fondation sur le financement de programmes favorisant l’inclusion sociale, réduisant les obstacles et soutenant les groupes marginalisés, s’inscrit dans les valeurs galvanisées par l’activisme du début des années 1980.

L’engagement du mouvement de lutte contre le VIH/sida en faveur des droits de la personne et de l’équité en matière de soins de santé a eu de profondes répercussions sur les services de santé publique au Canada et ailleurs. Les stratégies élaborées pendant cette crise—prévention, éducation, réduction des risques—ont été intégrées à des politiques de santé publique plus vastes, mettant en lumière la façon dont les pays abordent les maladies infectieuses et les urgences de santé publique. L’urgence de la crise du VIH/sida a également conduit à des innovations dans la prestation des soins de santé, comme l’approbation et la distribution accélérées des nouveaux traitements et la création de cliniques spécia­lisées. Ces innovations continuent d’améliorer les autres interventions en santé, les soins contre le cancer et les services de santé mentale.

Un héritage de compassion et de justice

L’héritage du mouvement de lutte contre le VIH/sida et de l’activisme 2SLGBTQIA+ est évident dans la manière dont les soins de santé sont dispensés aujourd’hui et dans la façon dont les politiques de santé publique sont élaborées. Leur influence sur le plaidoyer, les modèles de soins et les stratégies de santé publique conti­nue d’avoir un impact sur les systèmes de santé du monde entier, favorisant une approche plus inclusive, équitable et réactive de la santé et des droits de la personne. Le mouvement a non seulement transformé la réponse à une crise sanitaire dévastatrice, mais aussi les fondements d’un système de santé plus compatissant et plus juste qui valorise la dignité et les droits de tous les individus.

Alors que nous réfléchissons aux progrès réalisés depuis les premiers jours de l’épidémie de VIH/sida, il est clair que la lutte pour l’équité en matière de santé et de justice sociale est loin d’être terminée. Les défis auxquels sont confrontées les communautés marginalisées aujourd’hui nous rappellent que les principes du mouvement de lutte contre le VIH/sida—compassion, plaidoyer et résilience—sont plus pertinents que jamais. Il nous appartient de perpétuer cet héritage, en veillant à ce que le système de santé continue d’évoluer de manière à respecter la dignité et les droits de tous.

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Ken Miller (he/him)
Directeur général, Société canadienne du sida

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