Vivre la collégialité et l’inspiration grâce à l’enseignement à l’étranger

Striped imagery containing photos of teaching abroad experience.

Le Projet outre-mer comme expérience de croissance personnelle

Le Projet outre-mer (PO) est une initiative créée par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (CTF/FCE). Depuis 1962, les membres des organismes provinciaux et territoriaux membres de la CTF/FCE (y compris OSSTF/FEESO) ont collaboré avec des collègues dans des pays en voie de développement pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage et pour favoriser une éducation financée à même les deniers publics qui soit équitable et de qualité supérieure pour tous. En 2023, le premier voyage depuis que la pandémie a suspendu le Projet outre-mer, 60 membres du personnel en éducation de partout au Canada ont formé 15 équipes qui se sont rendues à 12 pays différents à travers le monde, y compris des pays des Caraïbes, de l’Afrique et de l’Amérique Centrale.

Dans le cadre du Projet outre-mer, les membres d’OSSTF­­/FEESO Danielle Slack et Jenna Brescacin se sont rendues à Kotido, en Ouganda, et à Roseau, en Dominique, respectivement, et ont travaillé auprès de syndicats locaux dans le but d’aider à la planification et à la prestation d‘ateliers de perfectionnement professionnel à l’intention du personnel enseignant local.

« Quand j’ai vu qu’il n’y avait que deux postes parrainés par la Féderation des ensei­gnantes-enseignants des écoles secondaires de l’Onta­rio (OSSTF/FEESO), je ne croyais vraiment pas que j’avais une chance d’être acceptée, mais j’ai décidé tout de même de tenter ma chance. Il y a tellement de meilleurs enseignants et enseignants que moi. Cependant, j’ai grandi à m’impliquer à des tâches humanitaires et j’ai poursuivi sur cette lancée depuis l’obtention de mon diplôme. Je soupçonnais que le PO était une bonne occasion de combiner ma passion pour l’équité et l’inclusion à mes forces en éducation, a répondu Jenna Brescacin, enseignante English as a Second Language (ESL) du District 9 – Greater Essex, à Windsor (Ontario), lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait posé sa candidature au Projet outre-mer. « Je savais que ce serait une bonne occasion de partager ce que je fais, mais également de rapporter ce que j’allais apprendre dans ma salle de classe et dans mes pratiques, puisque j’accueille des élèves de partout dans le monde. Je me sentais comme si cela allait m’aider à mieux comprendre bon nombre de mes élèves et leurs origines.»

Danielle Slack, enseignante en sciences humaines et sciences sociales du District 14 – Kawartha Pine Ridge, a dit, « Je tenais vraiment à me pousser hors de ma zone de confort. Je reconnaissais que je vivais un grave épuisement professionnel, avec la combinaison de la pandémie et en étant à ma septième année d’enseignement. Je voulais trouver une façon de retrouver mon engouement pour l’enseignement, car je ne voulais pas me retrouver à un stade où j’allais me sentir frustrée ou fatiguée et, par conséquent, ne pas être en mesure de me produire ou d’enseigner à ma façon ». Danielle a poursuivi, « L’expérience me semblait une excellente façon de me mettre au défi de retourner dans ma salle de classe et de retrouver mon enthousiasme face à l’enseignement. Je voulais faire l’expérience de l’éducation et de cultures différentes, et j’étais très captivée par l’aspect de l’équité. Je participe à divers groupes en matière d’équité à mon école, et ma mise en candidature au PO m’a donné l’occasion de concrétiser mes paroles et de prêcher par l’exemple dans mes groupes. »

Jenna et Danielle ont toutes les deux placé l’équité, l’inclusion et la collaboration à l’avant-plan de leurs pratiques d’enseignement, et le Projet outre-mer leur a donné à toutes les deux une occasion de favoriser ces mêmes idéologies dans des communautés en voie de déve­loppement.

Bien que les deux membres d’OSSTF/FEESO ont été sélectionnées pour des pays différents (Danielle Slack en Ouganda et Jenna Brescacin en Dominique) et avaient des expériences différentes, de nombreux points communs sont ressortis de leurs voyages respectifs, y compris une passion pour la collaboration internationale, une nouvelle reconnaissance pour les ressour­ces canadiennes et une nouvelle perspective sur le syndicalisme.

Collaboration sans frontières

Le travail que Projet outre-mer se proposait de faire était d’une nature collaboratrice. Du début à la fin, les deux enseignantes canadiennes ont été jumelées à un membre du personnel enseignant local dans le but de créer et d’offrir ensemble un perfectionnement professionnel aux participantes et participants dans ce pays. Dès leur conception, ces ateliers ont été informés par et conçus pour les expérien­ces vécues du personnel enseignant local. Ce fut une rencontre des esprits qui a facilité un échange mutuel des expériences, des stratégies et des idées, dans laquelle le personnel ensei­gnant d’un ou l’autre pays ne s’est présumé comme étant meilleur que l’autre. Chargé de sujets comme les stratégies pédagogiques, il semblait d’abord impossible, culturellement insensible, voire colonial de conseiller aux participantes et aux participants sur ce qu’ils devraient faire dans leur salle de classe. Ce n’est que par les conversations avec les co-tutrices et co-­tuteurs et les participantes et participants que les similitudes professionnelles ont été cernées et que des sessions pertinentes sont devenues possibles. Trouver des points communs qui trans­cendent la culture et l’éducation serait la seule façon de susciter le respect et l’attention. Il est vraisemblable que les participantes et participants se faisaient des doutes sur les capa­cités des Canadiennes à comprendre ce qu’ils avaient et ce dont ils avaient besoin. C’était là, le premier point d’entrée. Peut-être que les nouveaux arrivants ne connaissaient-ils pas les langues locales (qui sont nombreuses) ou n’avaient-ils jamais enseigné dans leurs écoles, mais les enseignantes et enseignants ont tous vécu une réunion du personnel, des sessions de perfectionnement professionnel (PP) ou un courriel qui nous a laissé avec l’impression que celles et ceux qui ne sont pas en salle de classe donnaient des directives théoriques sur comment nous devrions faire le travail. C’est ce type de point en commun à l’avant-plan de l’esprit de Jenna et de Danielle qui allait guider le travail dans ce pays et permettre à ce que la colla­boration internationale soit à la fois efficace et pertinente pour tous.

Jenna a décrit ses débuts dans le projet en disant, « La première journée de l’atelier, je n’ai vraiment pas dit grand-chose à mes participantes et participants, au-delà de me présenter. Et je leur ai clairement dit, « En vérité, j’en ai beaucoup à dire, à ajouter et à suggérer, mais pour le moment je ne fais qu’écouter et apprendre au sujet de vous et de vos préoccupations et comment fonctionne le système d’éducation ici, pour ne pas sembler comme si je vous dis quoi faire ». Ils m’en ont été très reconnaissants, parce que la dernière chose que je voulais faire était de simplement commencer à parler au sujet de l’éducation en Ontario, si rien n’était applicable. Nous avons même demandé à nos participantes et participants de remplir un son­dage la première journée et d’indiquer leurs plus grandes préoccupations en salle de classe, afin que nous puissions adapter notre atelier afin de répondre à LEURS attentes et leurs be­soins principaux. Nous leur avons également demandé de soumettre anonymement des mises en situation précises qui leur sont déjà arrivées, et nous avons tenté de les résoudre ensemble chaque jour. Ma co-tuteure, Rosamund Rolle, et moi-même étions d’avis que c’était la meilleure façon de naviguer leurs préoccupations, puisque ce sont LEURS salles de classe et qu’elles et ils savaient ce dont elles et ils avaient besoin. Cette méthode a été bien reçue et beaucoup plus pertinente pour eux que de simplement nous voir debout devant eux à leur parler pendant deux semaines. »

Il serait facile de supposer qu’une expérience comme le Projet outre-mer engendrerait un sentiment de reconnaissance chez les participantes et participants pour l’abondance de pri­vilèges qu’ils ont dans leur pays; pour la chance qu’ils ont d’enseigner dans des circonstances ­« supérieures ». Toutefois, il serait plus juste de dire que Jenna et Danielle ont eu droit à une dose de réalité qui les a portés à réévaluer leur rôle dans leur appréciation de la profession. Bien que les éducatrices et éducateurs soient peut-être habitués à un meilleur accès à des ressources ici en Ontario, le personnel ensei­gnant de la Dominique et de l’Ouganda avait une abondance de positivité. Que ce soit en début de carrière, vers la fin de l’année scolaire ou dans l’épuisement causé par le pivot de la pandémie, le personnel enseignant de l’Ontario ne connaît que trop bien l’épuisement professionnel. Outre la fatigue évidente, l’épuisement professionnel chez le personnel enseignant l’afflige d’irritabi­lité et de frustration inévitablement dirigées vers les apprenantes et apprenants devant toutes les éducatrices et éducateurs, les collègues à nos côtés et à l’administration au-dessus de nous. Il devient facile pour nous de trouver et de se concentrer sur les aspects négatifs, que nous soyons conscients ou non du déclin de notre attitude. La collaboration avec le personnel enseignant dans ces deux pays et le fait d’observer leur expérience vécue ont permis à Jenna et Danielle d’apprendre la façon à laquelle le personnel enseignant local navigue avec grâce dans la profession commune. Danielle se rappelle un de ses moments préférés alors qu’elle observait une enseignante locale réagir à une interlocutrice syndicale d’où elle était assise. Il y avait peut-être un obstacle linguistique, mais ses expressions faciales démontrant qu’elle se sentait incomprise ou qu’une réunion aurait bien pu être remplacée par un courriel sont des sentiments qui semblent universels. La valeur du travail international repose non pas dans une aide offerte aux autres d’une perspective de supé­riorité, mais bien de reconnaître qu’au-delà des frontières, des cultures, des fuseaux horaires et des climats, les enseignants sont des ensei­gnants au plus profond d’eux-mêmes et personne ne nous comprend mieux ou ne comprend nos défis mieux que nous-mêmes.

Ressources canadiennes

« Depuis la fin de la pandémie, je crois que parmi nous, bon nombre se sentent épuisés et défaits dans leurs rôles en salle de classe. Cependant, lorsque vous vous rendez dans certains de ces pays en voie de développement et constatez leurs conditions, il est difficile de ne pas se sentir reconnaissants pour ce que nous avons chez nous », a dit Jenna Brescacin, qui a coanimé l’atelier de gestion de classe à Roseau, en Dominique. « La Dominique a vécu les effets dévastateurs de l’Ouragan Maria en 2017, et certaines régions de l’île ne s’en sont toujours pas remises. Malgré ceci, l’éducation s’est poursuivie, et bon nombre d’enseignantes et d’enseignants œuvrent dans des écoles qui ont été détruites, ce qui atteste de la résilience des Dominicains et de la priorité qu’ils accor­dent à l’éducation. »

D’une façon semblable, Danielle a visité plusieurs écoles élémentaires dans le village lors de son séjour à Kotido, en Ouganda, et a vu de ses yeux des édifices qui n’avaient plus de toit, de murs et de fenêtres. Lorsqu’une tempête s’est abattue sur le village, les ressources sont passées par la fenêtre, littéralement. L’effectif de classe se situant entre 50 et 200 élèves dans certains cas, de nombreux ensei­­gnant(e)s n’avaient pas les ressources pour fournir des cahiers à leurs élèves, les laissant à se servir de leurs doigts et de pierres pour écrire des pro­blèmes de mathématiques sur le sol sableux.

« Cela vous fait vraiment prendre un recul et apprécier ce que nous avons. J’ai toujours su que nous étions chanceux à enseigner au Canada, mais mon expérience en Ouganda a fait ressortir en moi une appréciation renouvelée pour nos systèmes d’éducation au Canada et en Ontario, et pour les ressources qu’on nous accorde», a indiqué Danielle. « J’ai animé l’atelier des stratégies pédagogiques, qui diffèrent beaucoup dans nos classes plafonnées à 27 élèves plutôt qu’à 150. »

De plus, l’éducation du personnel ensei­gnant n’est pas obligatoire ou nécessairement offerte dans de nombreuses régions du monde, un détail que beaucoup oublient lorsqu’ils comparent les systèmes. « Je travaillais auprès de plusieurs membres du personnel enseignant âgés de 19 et 20 ans, qui étaient responsables de leur propre salle de classe au niveau primaire. Dans le cadre de l’atelier de gestion de classe, je me suis vite rendu compte que les pratiques fondamentales étaient nouvelles pour eux. Par exemple, les feuilles de travail pour la création d’un profil personnel de présentation, des examens personnels quotidiens en santé mentale, et l’importance de forger des liens; certains d’entre elles et eux prenaient en note littéralement tout ce que nous disions. Ce fut très enrichissant, mais aussi très triste. On s’attend à ce qu’elles et ils dirigent de jeunes enfants sans avoir eux-mêmes reçu une direction, dans de nombreux cas », a déploré Jenna.

« Le simple fait que nous jouissons d’une bonne éducation qui aide à nous préparer pour notre salle de classe est un aspect que je prenais vraiment comme acquis. Ma formation d’enseignante m’a préparée bien plus que je ne le croyais, et on ne s’en rend pas nécessairement compte jusqu’à ce que l’on constate ce à quoi ressemble la situation des autres dans d’autres pays », a ajouté Danielle.

Une appréciation renouvelée pour notre syndicat

Nous savons en Ontario que la profession de l’enseignement va de pair avec l’adhésion à un syndicat. Notre appartenance à un organisme qui défend nos droits à titre d’employé(e)s et les droits de la personne est automatique. Ce n’est pas le cas pour le personnel enseignant dans l’un ou l’autre des pays où Jenna et Danielle sont allées. Tant en Dominique qu’en Ouganda, l’adhésion au syndicat du pays revêt d’un choix personnel. Les participantes et participants aux ateliers de perfectionnement professionnel comptaient des membres et non-membres d’un syndicat. Dans le village éloigné de Kotido, le personnel enseignant local a écouté une présentation de la part du président du Uganda National Teachers’ Union (UNATU) dont le but était de souligner les bienfaits du syndicalisme pour se faire entendre. La devise de l’UNATU fait écho à ce sentiment « because we are, the nation is. The nation is, because we are » (parce que nous sommes, la nation existe, La nation existe parce que nous sommes); un refrain qui résonne fort et souvent lors des sessions de Danielle à Kotido. Dans un pays en voie de développement où la confiance envers le gouvernement n’est pas nécessairement un sentiment très répandu, l’adhésion à un syndicat est soit une façon attirante de se faire voir et entendre, soit un autre système dont il faut se méfier.

Les conversations avec le personnel ensei­gnant local et le personnel de l’UNATU ont permis de constater que les ratios enseignant-élèves se situent entre 1:50 et 1:200—un rapport qui semble faire une risée de nos plaintes au Ca­nada face à des effectifs de classe de plus de 30, si on compare. En Ontario, les plafonds d’effectif de classe sont déterminés en fonction du financement, mais nous pouvons certainement dire que notre appartenance à un syndicat nous protège d’avoir à composer avec des ratios si élevés. Danielle a constaté la réalité de ces chiffres alarmants lorsque son équipe a visité deux écoles locales à Kotido. Les salles de classe étaient remplies à craquer d’élèves d’âges multiples et dans diverses années scolaires. Celles et ceux sans chaise si pupitre s’installaient par terre et rigolaient avec leurs camarades. Les enfants sans cahier d’exercices ou fourniture pour écrire se servaient de pierres pour répondre à des problèmes mathématiques sur le sol de la salle de classe. Les enfants sans place pour s’asseoir ou matériel scolaire affichaient tout de même le sourire. Le personnel ensei­gnant n’avait peut-être pas tout ce qu’il voulait à sa disposition, mais il avait le respect des élèves. Lors de notre courte visite des écoles, chaque enseignante et enseignant imposait une attention encore plus soutenue. La légèreté à laquelle le personnel enseignant se comportait et dirigeait les élèves – à un tel point que cela menait souvent à un chant. La facilité à laquelle l’enseignement était présenté dans des circonstances que tout membre d’OSSTF/FEESO jugerait moins qu’idéales était impressionnante. Les syndicats locaux ont la lourde tâche de rendre les milieux d’apprentissage plus équitables pour le personnel enseignant et les élèves, mais dans l’intervalle, ces organismes semblent soutenir leurs membres au moyen de la solidarité.

Jenna Brescacin et Danielle Slack jettent un regard rétrospectif à leur expérience dans le Projet outre-mer et conviennent que ce fut à la fois très difficile, mais tout aussi enrichissant. Bien que les conditions de vie et d’enseignement variaient entre les emplacements du Projet outre-mer, les deux enseignantes sont retournées chez elles, comblées d’un regain d’énergie pour la salle de classe et une passion encore plus grande à l’égard de l’équité, de l’inclusion et de la collaboration. Si l’occasion se présentait à nouveau pour la participation à du travail humanitaire dans l’avenir, Jenna et Danielle acquiescent d’emblée et encouragent les autres à suivre leur exemple.

About Jenna Brescacin et Danielle Slack
Jenna Brescacin (she/her/elle) Enseignante, District 9, Greater Essex; Danielle Slack (she/her/elle) Enseignante, District 14, Kawartha Pine Ridge

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